Les Pardons d'Orléans (fin)
L'abbé Cochard reprend la plume pour nous raconter la fin des Pardons à Orléans
Assistons maintenant à la sécularisation de nos Pardons. Chose étrange, ce fut par la partie profane, c'est à dire par l'assemblée, qui avait lieu devant les églises, que la Révolution commença son œuvre de destruction.
Au début, les choses se passèrent comme par le passé. en effet, à l'époque de la convocation des États Généraux, pendant que les électeurs des trois ordres nommaient les députés du bailliage d'Orléans, deux religieux des RR. PP. Carmes se présentaient le 21 mars 1789, à l'Assemblée du corps municipal, annonçaient à la compagnie que la procession qui avait coutume de se faire tous les ans à leur église, le 4e dimanche de Carême, aurait lieu le lendemain et, la priaient de vouloir bien y assister, suivant l'usage. La compagnie le promit, et le 22 mars, elle prenait part à la procession du Pardon des Carmes.
Le 15 avril de la même année, le R. P. Supérieur des Augustins, accompagné d'un autre religieux, faisait la même démarche auprès du corps municipal, et obtenait la même promesse. Et, le 16 avril, la procession traditionnelle, faite à l'église des Augustins, le dimanche de la Quasimodo, était accompagnée du Corps de Ville.
Mais des troubles sanglants ayant eu lieu à propos de la cherté des vivres, la nouvelle municipalité portait au commencement de 1790, un arrêt défendant le différentes assemblées appelées Corps-Saints, "comme provoquant et dangereux. Cette mesure fut mal accueillie par les petits marchands ambulants qui avaient· jusque-là profité des réunions occasionnées par les Pardons pour débiter leurs marchandises. Aussi, plusieurs merciers d'Orléans, prenait fait et cause pour tous ces gagne-petit, présentaient, le 2 mars 1790, à la municipalité, une requête tendant au rétablissement des Assemblées supprimées. Mais le procureur de la commune, ayant donné verbalement, sur cette supplique, des conclusions contraires, le corps municipal "considérant les dangers qui résultèrent toujours des assemblées nombreuses, décidait que les arrêts et règlements de police, défendant les assemblées des Corps-Saints. seraient exécutés selon leur forme et teneur : en conséquence faisait défense aux suppliants d'y contrevenir, sous les peines de droit.» Si les assemblées étaient interdites, les processions ne l'étaient pas encore puisque le 9 mars 1790, le Prieur des Grands-Carmes invitait le corps municipal à assister à celle qui serait faite le 4e dimanche de Carême : ce qui Iui fut promis. Bien plus, et nos municipaux se faisaient escorter, de la Cathédrale à l' église de Notre-Dame-des Carmes par la milice nationale, commandée par son major. Il faut croire que, malgré les arrêts municipaux, les assemblée des Corps-Saints continuèrent d'avoir lieu avec boutiques et échoppes; car, le 29 mars 1790, sur la réquisition du procureur de la commune, prétendant que « le respect dû au saint jour de Pâques, paraissait devoir interdire lesdites- Assemblées», le bureau arrêtait de faire une proclamation portant « très-expresse inhibition et défense à tous les marchands et autres de dresser des boutiques et d'y tenir Assemblée le jour de Pâques prochain devant l'église de Saint-Euverte ou ailleurs. sous peine de six livres d'amende.»
Néanmoins, le corps municipal assistait encore, le jour de la Quasimodo, à la procession aux Augustins, comme il l'avait promis au Prieur, le 8 avril.
Cette procession fut la dernière, car, la Convention ayant supprimé les ordres religieux et confisqué leurs biens, les Carmes, les Chanoines de Saint-Euverte, les Chartreux, les Religieuses de Saint-Loup, et les Augustins durent évacuer leurs monastères et abbayes ; et dès lors les processions sans être interdites, ne purent avoir à des sanctuaires sécularisés (octobre 1790).
Cependant cet usage était si populaire que, le 14 février 1791, sur la motion d'un officier municipal, la municipalité « considérant qu'il est bien nécessaire de conserver l'usage des processions du Par don des Carmes, du Pardon des Augustins et de la Fête de Ville (8 mai)" arrêtait qu'il serait présenté une requête à Mgr l’Évêque pour demander :
1 ° Que la procession, qui se faisait aux Grands-Carmes, se rendit en l'église paroissiale de Saint-Paul
2° Que la seconde procession , qui allait aux Augustins , se rendît en la chapelle de Notre-Dame-de-Recouvrance
3° Que la troisième procession, du 8 mai, qui stationnait aux Augustins, se rendît en l'église de Saint-Marceau.
Nous ignorons quelle réponse l’Évêque fit à cet arrêt. Quoi qu'il en ait été. nous n 'avons vu nulle part que lesdites processions aient eu lieu. Nous savons seulement que la Fête de Ville du 8 mai 1791 fut toute militaire, sans messe, sans procession, sans rosière, ni. puceau (Les processions de la Fête Dieu sortirent encore en 1791, en 1792, même en 1793, du moins pour l'église Saint-Marceau).
Avec la mort de Louis XVI (1793) commençait le règne de la Terreur. Naturellement les processions· furent proscrites, mais l'habitude de l'Assemblée, le jour des anciens Pardons, était si invétérée dans les mœurs orléanaises que le jour même, où le citoyen Léonard Bourdon, de cynique et sanglante mémoire, était maltraité au sortir d'une orgie patriotique faite à l'auberge du Petit-Père-Noir, le conseil municipal requérait les commissaires de police d'empêcher l'établissement qui pourrait avoir lieu le lendemain, 17 mars 1793 (Corps Saint de Sainte-Croix), sur la place de l'Étape, afin de prévenir toute occasion de rassemblement. On sait que neuf Orléanais montèrent, le 13 juillet 1793, sur l'échafaud, pour expier les égratignures faites dans une rixe imprudente, au conventionnel régicide. Ce ne fut que le 19 novembre de la même année que le culte catholique cessa d'être public.
A cette époque finirent les Pardons proprement dits. Mais à défaut du principal, il faut admettre que l'accessoire, malgré les règlements de police se maintint, puisque le 23 février 1799, par un arrêté, il était fait défense à tous·'Citoyens de former un rassemblement, d' établir des marchandises en vente, sur des échoppes roulantes «dans les lieux accoutumés aux rassemblements, connus sous le nom de Corps-Saints ou Valeteries, ou sous les dénominations proscrites de Pardon des Carmes, de Sainte-Croix, de Saint- Euverte, des Chartreux et autres."
Avec le Concordat le culte catholique revint dans nos églises ; mais les Pardons religieux ne se relevèrent plus. Les assemblées seules, dont ils étaient l' occasion, survécurent, quelques-unes avec leurs anciennes dénominations. On dit encore les Pardons des Carmes, de Sainte -Croix, on ne dit plus les Pardons de Saint-Euverte, des Chartreux, ni des Augustins, mais les Assemblées de la Porte Bannier, du Portereau , etc.
La procession que fait la paroisse de Saint-Laurent, le dimanche des Rameaux, à la Croix-Buisée, est le dernier vestige des anciens Pardons.
Il ne m'appartient pas de décrire les réunions mondaines qui leur ont succédé. Le chroniqueur religieux n'a rien à y glaner. Une foule de badauds, circulant entre deux haies de boutiques, en plein vent, achetant du pain d'épices et des noisettes, montant des chevaux de bois, .dansant et chantant au retour sous l'œil du sergent de ville, voilà tout ce qu'on en peut dire. On passe devant L’Église, on n'y entre plus, et de ces assemblées beaucoup reviennent ayant plus que jamais besoin de ce Pardon que la Religion mettait jadis si libéralement à la portée de tons. Aussi, au risque de passer pour rétrograde, nous regrettons nos vieux Pardons, nous nous soucions peu des Assemblées, parce que nous préférons un peuple qui prie à un peuple qui s'amuse.
L'abbé Th. Cochard