Nos coutumes d'autrefois pendant le Carême
Autrefois, le temps du carême était signalé par certaines coutumes populaires dont on ne parle plus que pour mémoire. Les unes n'existent plus, les autres tendent, de jour en jour, à s'effacer ou à se dénaturer.
§ I. - Qui de nous n'a entendu parler des Brandons (Ce nom vient du mot brande, bruyère à balais ; à l'origine, un brandon était un petit fagot de brande qu'on attachait au haut d'une perche. Plus tard, la brande a été remplacée par de la paille) ? Cette fête rustique avait lieu le premier dimanche de carême. Quelque temps après le coucher du soleil, toute la population de nos hameaux, armée de torches de paille enflammée, se répandait dans la campagne et parcourait les champs, les vignes et les vergers. Vus de loin, ces mille feux flamboyants, qui s'élevaient et s'abaissaient tour à tour au milieu des ténèbres, semblaient autant de feux follets qui se poursuivaient, en se jouant à travers les plaines, sur les coteaux et dans les vallons. Ce soir-là, les habitants d'Orléans se plaisaient à sortir de leurs murs, pour jouir du coup-d'œil fantastique que présentaient les deux rives du fleuve, en amont comme en aval : la Loire serpentait entre deux haies de points lumineux se reflétant, par-ci par-là, dans ses eaux courantes.
On peut sans trop de témérité conjecturer que, très anciennement, les riverains de la ville même avaient aussi leurs brandons, et qu'ils les allumaient, soit sur la berge qui longeait les murailles, soit peut être dans les nombreuses îles, qui obstruaient alors le cours du fleuve. Le plus populaire de ces feux se trouvait placé sur la barre-flambert , qui terminait, de ce côté, la seconde enceinte d'Orléans. Du moins, plusieurs chroniqueurs font dériver le nom de flambert des torches allumées ce jour-là, et qu'on appelait flambart.
A un moment donné, tous les brandons étaient réunis et formaient un immense foyer, autour duquel hommes, femmes et enfants exécutaient une gigantesque ronde, en chantant un couplet inspiré par une verve toute populaire.
La promenade des Brandons se terminait, dans chaque famille, et sur tout dans les métairies, par un repas où l'on faisait une grande consommation de beugnons ou beignets. Dans la Sologne, avoisinant le Berry, le mets traditionnel était une bouillie de mil. A Jargeau, notamment, c'était sur le brasier, des brandons qu'on faisait cuire le mil. Les assistants le mangeaient sur place.
Le dimanche brandonnier est encore célébré dans nos campagnes ; mais il tend à perdre son caractère de fête publique.
§ II. - Il y a trente ans (en 1850 ndlr), on entendait encore à travers nos rues, ce cri répété "Des bonblancs ! tout chaud blancs!" Ces bonblancs, auxquels nul de nos dictionnaires n'a daigné accorder le droit de cité, étaient le gâteau de carême. Ce gâteau devait être de farine pure. A Fleury (abbaye de Saint Benoît sur Loire ndlr), où le maigre était de règle la majeure partie de l'année, ce frugal dessert était ajouté au repas certains jours de fête. Dans le coutumier du monastère, il s'appelle : bracellus. A Orléans, il ne servait à la collation que pendant le carême on le vendait même dans les rues. Depuis que l'usage du beurre permis à la collation, le bonblanc s'y est conformé ; mais, en conservant son nom, il a perdu, avec sa couleur, tous ses mérites expiatoires. Il n'est plus un rappel de carême, ni un mets mortifiant. Aussi court il plus les rues et il n'est plus qu'un gâteau mondain que, sous bonne mine, ne reconnaîtraient plus nos pères.
§ III. - Le dimanche des Rameaux, fête de Pâques-fleuries, était dans nos campagnes, l'occasion d'une manifestation publique. Le buis bénit en avait tous les honneurs.
Ce jour-la, chacun se rendait à la grand'messe. Riches et pauvres métayers et vignerons, portaient tous à la main une gerbe de buis cassée et non coupée, que devait bénir le prêtre. La bénédiction des rameaux terminée, une procession se formait. Précédée de la croix paroissiale et suivie du clergé, elle se rendait aux croix des cimetières et des carrefours afin d'en renouveler le buis. A l'instant précis, où l' on fixait à leurs bras le buis nouveau, l'assistance villageoise observait avec la plus grande sollicitude, de quel point de l'horizon soufflait alors, le vent. Ce fait bien constaté, chacun croyait que de ce côté seulement partiraient tous les orages qui surviendraient durant le cours de l'année. Si, dans ce moment solennel, le vent venait du sud-est, les nuées, enfantées par cette partie de l'horizon, porteraient presque toujours la grêle dans leurs flancs !.
Après l'office paroissial, toute l'assistance se répandait dans la campagne ; et c'était vraiment un spectacle édifiant de voir ces bonnes gens le chapeau rond orné d'une branchette de buis, se croiser dans tous les sens, qui à son champ, qui à son pré ou sa vigne, y planter, en se signant une croix de rameaux bénits . Puis, chacun s'en retournait à son logis, et, avant d'en franchir le seuil, il attachait à l'huis de sa porte, aux entrées des étables et des bergeries, aux charrues, aux voitures, d'autres branches du buis protecteur.
Retrouver ces croix, au moment de la moisson, était un grand bonheur. Celui des moissonneurs qui, en fauchant, rencontrait l'une d'elle, faisait signe à ses compagnons, tous accouraient, se mettaient à genoux. Le meilleur chanteur, ou le roi de la moisson, entonnait le Crux Ave qui était répété trois fois ; puis, le plus digne, ou l'inventeur, faisait baiser la croix de buis à chacun des travailleurs.
Cette double coutume, qui était jadis universelle dans nos campagnes de la rive gauche, subsiste encore (1879 ndlr) dans les campagnes de Chatillon-sur-Loire.
Tout le monde sait que c'est de l'incinération du buis béni que provient la poussière symbolique que le prêtre dépose, le jour du Mercredi des Cendres, sur le front des fidèles.
§ IV. - Alors que le Carême était strictement observé, les œufs et la viande ne reparaissaient sur la table que le jour de Pâques. Ils en composaient tout le menu les uns diversement coloriés, l'autre sous forme de pâté.
Les œufs, épargnés par l'abstinence, étaient, en effet, le cadeau du jour. Dans nos villes, comme dans nos Campagnes, les enfants, écoliers petits clercs et petits pâtres, se réunissaient pour faire, dès le samedi-saint, la quête des œufs, au bruit des sonnettes et des tambours, avec chants à l'avenant, composés de vers fort médiocres et émaillés de force alleluias. On les coloriait en rouge ou on les dorait. Mais on ne tarda pas à en altérer le caractère en leur donnant d autres couleurs, et en y joignant des objets de fantaisie. On cite deux de ces œufs qui furent offerts par le comte d'Artois à la reine Marie-Antoinette, et qui passent pour de véritables objets d'art. Enfin, les confiseurs fabriquèrent des œufs de Pâques en sucre, tandis que les bijoutiers en faisaient en or et en émail, dans lesquels on enfermait des Joyaux de toute sorte, et que l'on donnait en cadeau à l'époque de Pâques. C'est maintenant, dans nos villes du moins le seul usage à la mode. On a cherché à expliquer cet usage des œufs de Pâques qu'on retrouve en Orient comme dans l'Occident, observé chez tous les peuples chrétiens. Les uns n'y ont vu que la conséquence de la levée de l'interdit, mis par l'Église sur les œufs, pendant le temps quadragésimal (temps du Carême ndlr). Les autres lui donnent pour toute explication un sens mystique, ils prétendent que l'œuf est le symbole sensible de la resurrection de Notre-Seigneur. Un vieil auteur, traitant de la semaine sainte, voit dans la coque de l'œuf le corps de J -C. ; dans le blanc son âme, et dans le jaune, la divinité, du Sauveur. C'est pousser bien loin le symbolisme. Quoi qu'il en soit, voici certaines coutumes auxquelles donnaient lieu, chez nous, les œufs de Pâques.
Dans le monastère de Fleury, le cellérier avait ordre de donner, le jour de Pâques, à chaque écolier deux œufs. Le prieur du Saint-Sépulcre de Beaugency, devait présenter, le même jour, après la grand messe et à la porte du château au seigneur, treize œufs frits 'pour le décarêmer", treize petits pains, mis ensemble en forme de couronne, et deux pintes de vin rouge dans deux pots de terre neufs (1079). Dans la plupart de nos campagnes de Beauce, de Sologne et de Berry, les fermiers ou métayers aisés se rendaient à la messe paroissiale portant en poche une couple d'œufs, voire une douzaine, et le sacristain faisait la collecte avec un panier, où chacun déposait son offrande, dont bénéficiait le curé. Dans le Berry, les petits pâtres ou patours élisaient une reine, à laquelle ils composaient une toilette ébouriffante, et qu'ils promenaient de domaine en domaine, en quêtant des œufs pour faire, les lundi et mardi de Pâques, le repas en plein air qu'ils appelaient le berlué. Partout, dans ces festins rustiques, qui se terminaient par des danses et des rondes, l'œuf dur était la base du menu.
On retrouve encore dans nos villes, et surtout dans nos campagnes, des restes de l' usage, jadis universel, des œufs de Pâques. Mais la permission d'user d'œufs en carême, la mode et le peu de cas que nous faisons de nos traditions locales nous permettent d'augurer que la quête ou le débit des œufs de Pâques, rouges et dorés, ne seront bientôt plus qu'un souvenir.
Annales religieuses et littéraires d'Orléans - 1879