La Fête de Jeanne d’Arc à Orléans Ses interruptions à travers les siècles (1562-1907)
Ce texte écrit par « un guêpin » (sic) en 1907, nous fait état dans la pensée de cette période troublée pour l’Eglise de France. En effet, les applications de la loi de séparation de 1905 mettent en danger la continuité de la fête de Jeanne d’Arc qui allie le civil et le religieux. Il faut alors se re-situer dans le contexte pour bien entrer dans la compréhension de cette histoire.
L’esprit fin et railleur des Orléanais leur a fait donner ce sobriquet de guépins, qui est dérivé du bas latin guespa pour vespa, guêpe.
La charte municipale de 1482 établissait, ad perpetuum, la fête du 8 mai : elle en déterminait le cérémonial, du moins dans ses grandes lignes, l'action : de grâces, le cortège et même l'itinéraire de la procession, autant eucharistique que commémorative.
Hier encore, cette fête était célébrée conformément audit cérémonial, consacré par les siècles. En cela, les Orléanais du XX• siècle étalent fiers de donner la main à leurs ancêtres du XVe. Pour nous, c'était un devoir, un honneur, d'acquitter la part de la dette de reconnaissance, que nos pères avaient contractée envers leur libératrice, et que, n'étant pas immortels, ils avaient de léguer à leurs descendants.
Néanmoins, cette solennité subit des interruptions. Ces interruptions momentanées furent toujours le fait de « faux français », traîtres à leur Dieu comme à leur patrie. Orléans, cœur de la vraie France, subit, mais n'accepta jamais ce déni d'ingratitude.
Voilà ce qu'il convient de rappeler à une heure critique, où le pouvoir, s'immisçant dans une affaire exclusivement municipale, veut rogner un programme, qui a pour lui cinq siècles et toute une population.
I. — La première interruption de la « fête de la ville » fut perpétrée, en 1562, par les Huguenots, maîtres d'Orléans ; ils étaient commandés par le prince de Condé et un sieur de Châtillon, Gaspard de Coligny : l'un rebelle à son roi, l'autre traître à sa patrie, tous deux renégats. Ils interdirent la procession du 8 mai ; dans leur fureur d'iconoclastes, ils épargnèrent le monument expiatoire de la Pucelle. Ce n'était (hélas !) que partie remise ; leur intention était tout autre, le temps seul leur manqua. Mais on peut sans témérité présumer que, lors du sac de l'hôtel de ville, après avoir tiré des niches de la façade les bustes de Louis XI et de Louis XII, ils enlevèrent de son pilier la statue de la Pucelle, pour jeter le tout dans la Loire.
La paix de « L'Île-aux-Bœufs » signée, en mars 1569, et les protestants partis, la fête de ville fut reprise et devait se continuer jusqu’en 1587. Dans la procession du 8 mal de cette année, il est constaté que le guidon de la Pucelle, échappé au sac des Huguenots, avait encore figuré.
Quelques mois après, Orléans retombait au pouvoir de l'armée de Condé. Aussitôt, ses retires, assouvissant leur haine fanatique, se ruaient, en octobre 1567, sur le monument de la Pucelle, érigé sur le pont des Tourelles, ils en brisaient la croix, le crucifix, et les statues de la Vierge et de la Pucelle ; par un scrupule tout politique, ils épargnèrent celle de Charles VII.
La veille d'évacuer la place, ces sectaires, fanatisés par Théodore de Bèze, minaient et sapaient les gros piliers du transept de la Cathédrale, laquelle, s'écroulant (21 février 1568), ne permettait plus la solennité de l'action de grâce, avec la procession aux Tourelles.
Ce fut la dernière interruption du fait des Huguenots.
II. — Il faut descendre à 1583, pour constater une série d'interruptions, qui se termina en 1590. La violence révolutionnaire n'y fut pour rien : il la faut attribuer à la peste, qui ne permettait ni réunions ni réjouissances.
III — Sur la fin du XVIIIe siècle, le siècle de l'infâme Voltaire, il revenait aux révolutionnaires d'ouvrir une ère d'interruptions, qui dura de 1790 à 1803.
Tout d'abord, de 1791 à 1792, la fête, dépouillée de tout caractère religieux, fut toute militaire.
C'était encore trop pour des sans-culottes.
Ceux-ci, comme s'ils eussent voulu prévenir en nos municipaux toute velléité de fêter civilement la Pucelle, se faisaient iconoclastes, à l'égard de tout ce qui, visiblement à Orléans, pouvait rappeler et honorer notre libératrice.
Dans les derniers jours du mois d'août 1792, sous la menace des sections, le conseil départemental ordonnait que le monument de la pucelle soit démonté, pour en convertir le bronze en canons, dont l'un devait porter le nom de la Pucelle. Pendant qu'un maître serrurier le déboulonnait, une bande de vauriens, Marseillais et Orléanais, lancée par « Léopard » Bourdon, se ruait, comme des fauves sur le monument pour tout briser. Vainement chercha-t-on à sauver d'abord le buste, puis la tête de Jeanne, qui était fort belle.
Presque en même temps, les mêmes bandits, sans-culottes comme sans pudeur patriotique, couraient au n°11 de la rue de Recouvrance, et se faisaient livrer, sous menace de mort, le chapeau de la Pucelle, pour le brûler dans la cour de l'hôtel des Saint-Hilaire (cf Existe-t-il des Reliques de Jeanne d’Arc, Cochard, T.).
Après ce forfait, nulle municipalité n'osa reprendre la fête du 8 mal, même au civil. Le clergé seul, en ce jour, devait faire mémoire, privatim, de la Délivrance d'Orléans, soit en récitant le bréviaire, soit en disant la sainte messe, en quelque oratoire privé et caché. Nos prêtres furent donc, de 1793 à 1803, les exécuteurs officieux et secrets de la charte municipale. S'il y avait interruption, il n'y avait pas prescription. - Pour l'honneur d'Orléans, c'était l'important.
En 1802, le Concordat mettait fin à ce déplorable état de choses.
IV. — La fête de la Pucelle, rétablie le 8 mai 1803 tant au civil qu'au religieux, par un accord conclu entre le premier consul, Bonaparte, et le premier évêque concordataire, Mgr Bernier, ne subit aucune éclipse jusqu'en 1831.
Un regain de jacobinisme, né au lendemain des trois piteuses journées de juillet 1830, imposait à notre municipalité un déshonorant ostracisme ; les libéraux, caudataires d'Arouet, l'insulteur de la Pucelle, et bâtards de Jean-Jacques, le mouleur de la Révolution, faisaient porter par le préfet, le vicomte de Riccé, et par le maire, Hème père, un double arrêté, interdisant, le 8 mai, la procession traditionnelle. De 1831 à 1840, il n'y eut donc plus, le 8 mai, qu'une fête civile.
Cet ostracisme, qui devait durer huit ans, au grand déplaisir des Orléanais, cessait en 1840, la municipalité ayant arrêté qu'elle se rendrait, en corps, le 8 mai, au service religieux célébré dans la cathédrale. Mais elle n'avait pas osé convoquer le clergé à se joindre au cortège, qui, après la messe, s'était rendu à l’emplacement du fort des Tourelles. Il y avait eu, toutefois, dans cette demi-concession à l'opinion, un acheminement vers le cérémoniel traditionnel. En effet, l'année suivante, malgré les « criailleries » des prétendus libéraux, et grâce à l'énergie du maire, Sevin-Mareau, le 8 mai 1841, après la messe d'actions de grâces et le panégyrique, la procession, semi-civile, semi-religieuse, était reprise, et cela jusqu'en 1848.
V. — La municipalité républicaine, sortie de la Révolution de 1848, ne crut pas devoir inviter le clergé à la promenade civile qu'elle fit à l'emplacement des Tourelles. La procession n'eut donc lieu, ni en 1848, ni en 1849, ni en 1850, ni en 1851. Le clergé dut se contenter de célébrer solennellement, dans la cathédrale, l'anniversaire du 8 mai 1429.
Encore une fois, comme en 1799, comme en 1830, le clergé d'Orléans avait suppléé à ce qui manquait de religieux dans le programme tronqué des mandataires de la ville.
Nous avons craint, pendant cette semaine, qu'une nouvelle ère d'interruptions ne s'ouvrit en 1907. C'était après le huguenot, après le septembriseur, après le néojacobin de juillet, après l'insurgé de 1848, un métis de ce pandemonium, le franc-maçon, qui avait tout fait pour la suggérer à nos gouvernants et pour l'inaugurer cette année.
En effet, le 13 mai 1894, dans une loge d'Orléans, les frères et amis avaient émis un vœu en faveur de la laïcisation de notre fête du 8 mai. Avec la loi de séparation, ils se croyaient si proches de la réalisation de leur vœu, aussi infâme qu'impie, que le 14 avril dernier, le vénérable de la Loge Etienne-Dolet, un juge de paix, nous assure-t-on, avait demandé au maire qu'il fut réservé une place aux francs-maçons dans le cortège du 8 mai. Pour toute réponse, M. le maire s'est contenté de déclarer à l'Evêque d'Orléans que la Loge ne figurerait pas parmi les Sociétés, ses invitées.
Ce point tranché et l'exclusion de la croix n'étant pas maintenue, il était facile de prévoir que Mgr l'Evêque d'Orléans autoriserait l'assistance de son chapitre et des curés d'Orléans à la cérémonie du 8 mai. Mais qu'on le sache bien, le plan maçonnique n'est point déchiré ; tôt ou tard, on y reviendra.
Plaise à Dieu qu'alors les laïcisateurs de Jeanne d'Arc ne rencontrent jamais, au Conseil municipal, des complices !
L'histoire, qui se tait toujours devant les faits contingents et devant leurs acteurs vivants, stigmatiserait cette forfaiture municipale et cette félonie nationale, en nommant tout haut ceux qui se constitueraient les néfastes agents de la sécularisation de la fête de ville.
Dès lors, les noms de ces renégats patriotiques seraient pénibles à porter par leurs descendants, car, pour eux, il y aurait une tare transmissible par le nom et devant l’opinion, une tache aussi ineffaçable que celle d’Hamlet !