Genèse du 7 mai
Rien n'est plus impressionnant, dans sa féérique vision, que la « Remise de l'Etendard de la Pucelle d'Orléans », au pied des tours embrasées de la Cathédrale.
Cette cérémonie n'a pas toujours existé : elle n'est cependant que le couronnement d'une autre cérémonie, à laquelle il suffit de rattacher la scène de Jehanne rentrant en ville, le soir du 7 mai, après la prise des Tourelles, pour lui imprimer la physionomie rétrospective, aussi vraie qu'originale, d'un souvenir historique.
C'est ce que nous nous proposons de démontrer, en faisant la genèse du cérémonial actuel de notre 7 mai au soir. Au XVIIIe siècle, tel était le cérémonial du 7 mai, suivi jusqu'aux jours de la Terreur :
« Le 7 mai, à midi précis, sur la plateforme du Beffroi, se tenait le représentant de Jeanne d'Arc, en costume avec son drapeau déployé, escorté de quatre cinquanteniers en armes. Une musique guerrière se faisait entendre pendant près d'une heure ; on y réunissait tout ce qu'il y avait de tambours, trompettes, hautbois, etc., pour se faire entendre au loin et annoncer la solennité de la fête. Au moment du coucher du soleil, cette annonce était répétée et accompagnée d'une salve de 24 boites, depuis que les canons de la ville avaient été enlevés par ordre de Louis XIV, lors de la guerre de la succession d'Espagne.
Pendant cet intervalle, le beffroi sonnait de quart d'heure en quart d'heure (cf Lottin, 8 mai 1817). A la cathédrale, après complies, MM. du Chapitre chantaient Matines, en vigiles de la fête ; MM. le maire et les échevins y assistaient on corps.
En 1803, lorsque, après l'autorisation du Premier Consul, la fête de Jeanne d'Arc, fut reprise, au religieux et au civil, la veille fut encore comprise dans la célébration de la fête de la ville en l'honneur de la Pucelle d'Orléans. L'article III de l'arrêté municipal signé : Crignon Désormeaux, maire, était ainsi libellé :
« La veille de la fête, à midi précis, une musique guerrière se fera entendre, pendant une heure, sur la « tour de ville » ; la cloche du Beffroi sonnera dans tous les intervalles du repos de la musique et, de quart d'heure en quart d'heure, jusqu'au coucher du soleil. A la même heure, 11 sera fait une décharge de boites, pour annoncer la fête. »
En 1817, le troisième article de l'arrêté municipal était ainsi formulé :
Art. 3. — La veille de la fête, à midi précis, le représentant de Jeanne d'Arc en personne (le Puceau), drapeau déployé, escorté d'un détachement de la garde nationale, montera sur la tour de ville, où la musique, les tambours et les trompettes feront entendre, pendant une heure, des fanfares et des airs guerriers. La cloche du Beffroi sonnera dans tous les intervalles du repos de la musique et de quart d'heure en quart d'heure jusqu'au coucher du soleil.
Art. 7. — Après l'office (de matines à la cathédrale) le corps municipal rentrera à l'hôtel de ville et le Puceau sera reconduit à la prison où il demeurait.
Ainsi, dans les arrêtés de 1803 et de 1817, tout ce qui s'observait avant 1703 avait été repris, sauf la cérémonie vespérale, dont la tradition n'était pas morte : elle sommeillait, si bien que, vers la moitié du XIXe siècle, elle était réveillée sous la forme d'une cérémonie tout historique.
A l'occasion de l'inauguration de la statue équestre de Foyatier, sur la place du Martroi, on résolut, en 1855, de représenter la rentrée en ville de Jeanne et de ses troupes victorieuses, au soir du 7 mai 1420, et de sa première visite à la cathédrale.
Le programme de cette soirée, conçu par M. Mantellier, l’historien du siège, fut soumis au Conseil municipal, qui en l'approuvant, lui donna force de loi.
C'est ce programme qui, depuis 1855, est fidèlement réalisé. Le voici tracé par son auteur (dans Hist. Du siège d’Orléans, p. 210) :
« 7 mai, midi. — Sont hissées sur la tour du Beffroi, une bannière aux couleurs de la ville (jaune et rouge) ; sur chacune des tours de la basilique de Sainte-Croix une bannière tricolore. La cloche du beffroi se fait entendre et tinte à l'alarme de quart d'heure en quart d'heure (ce tintement du Beffroi rappelle les angoisses de la ville assiégée).
« Huit heures. — heure à laquelle, le 7 mai 1420, Jeanne d'Arc, après avoir emporté le fort des Tourelles, est rentrée dans Orléans par le pont ; un bouquet d'artifice est tiré sur l'emplacement des ouvrages avancés du fort des Tourelles. Les cloches des églises et des chapelles de la ville et de la paroisse de Saint-Jean-le-Blanc sonnent à grande volée.
A ce signal, les troupes de la garnison, massées derrière le bouquet d'artifice, se mettent en marche à la lueur des torches, suivent le pont, la rue Royale, la rue Jeanne-d'Arc et viennent se ranger en ordre de bataille devant le portail de la basilique de Sainte-Croix.
« Au même instant, le corps municipal, ayant à sa tête le maire et ses adjoints, sort de l'hôtel de ville avec une escorte militaire, à la lueur des torches : Il est précédé de la bannière de la ville et do l'étendard de Jeanne d'Arc. Il se dirige vers le parvis de la basilique.
« A l'apparition de l'étendard de Jeanne d'Arc débouchant sur la place, les tambours battent au champ, les portes de l'église s'ouvrent, le séminaire, le clergé de Sainte-Croix portant les bannières de saint Michel, patron de la France, de saint Euverte et da saint Aignan, patrons d'Orléans, de sainte Catherine et de sainte Marguerite, protectrices de Jeanne d'Arc ; le Chapitre de la Cathédrale , l’évêque sortent processionnellement au chant du Te Deum et prennent place sur le perron de l'église.
« Lorsque les chants ont cessé, le maire s'avance, suivi de l'étendard de Jeanne d'Arc ; il monte les degrés, s'approche de l’évêque qui fait un pas en avant et il lui remet l'étendard. A ce moment, les tambours battent de nouveau ; le portail et les tours de Sainte-Croix s'illuminent de feux de bengale de la base au sommet. Le maire descend et revient prendre sa place à la tête du corps municipal. Les chants religieux reprennent ; l'évêque donne sa bénédiction du haut du perron, puis, le clergé rentre processionnellement dans la basilique, où il dépose l'étendard de Jeanne d'Arc.
« Le cortège municipal retourne à l'hôtel de ville.
« Les troupes regagnent leurs quartiers. La retraite est sonnée aux flambeaux. »
En 1895, ce programme subit une innovation, qui ne passa pas inaperçue des vieux Orléanais, si attachés aux us traditionnels.
Jusque-là, après la remise de l'étendard faite pendant l'embrasement des tours, le cortège municipal et le cortège ecclésiastique se séparaient sur cette vision vive, claire et rapide de la soirée du 7 mai 1429. On tenta alors une addition musicale ; en 1895, avec le chœur de Faust ; en 1898, avec une cantate, musique de Gounod ; en 1899, avec le Chœur de la Patrie, de Magnin, et la Cantate à l'Etendard ! Paroles de M. Vié et musique de M. Laurent. Avec cette dernière, l'essai devenait un article stéréotypé du programme religieux.
Depuis 1898, aussi, dans cette soirée, la cathédrale, avec sa nouvelle sonnerie, donnait une note digne d'elle ; le bourdon Jeanne d'Arc répliquant au timbre du beffroi Cœur de Lis.
Enfin, Monseigneur l'Evêque d'Orléans reprenait une plus que séculaire tradition, renouvelée en 1803 par Mgr Bernier, en autorisant son Chapitre, à célébrer un service de Requiem pour les « Trépassés du siège de 1429 ».
Théophile Cochard, Annales Religieuses 1907
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