Pèlerinage Saint Grégoire à Bondaroy
C'est à Bondaroy, proprement dit, que commence la vallée de l'Oeuf.
L'Oeuf se joint à la Rimarde et forme l'Essonne aux environs d'Aulnay-la-Bivière, et plus on se dirige vers le Nord, plus les sites se multiplient jusqu'à Malesherbes où ils offrent une exquise variété.
C'est dans cette vallée de l’œuf que se déroulait, il y a quelques années, le fameux pèlerinage de Saint-Grégoire, qui eut longtemps beaucoup de vogue dans toute la région.
La vallée de l'oeuf est souvent appelée vallée de Saint-Grégoire, parce qu'à la fin du x« siècle un saint évoque d'Arménie, nommé Grégoire, vint s'y retirer en y menant la vie la plus austère ; la grotte où le solitaire vécut se voit encore de nos jours et elle a été transformée en chapelle souterraine.
C'est à cette grotte et à l'église de Saint-Martin-le-Seul élevée sur une colline voisine que se rendait, il y a quelques années, le lundi de Pâques, un magnifique pèlerinage, suivi par le clergé et les fidèles de toute la région.
Une assemblée profane suivait la cérémonie religieuse et attirait également beaucoup d'étrangers.
Toutes ces fêtes ont cessé à. l'époque où la loi de séparation fut votée et à la suite d'incidents survenus entre l'autorité municipale de Pithiviers et le clergé de celte localité.
Bulletin du Photo-club de Pithiviers 1908-1909
LE PÈLERINAGE DE SAINT-GRÉGOIRE
dans les Annales Religieuses et Littéraires de la Ville d'Orléans en 1892
Une fête des plus populaires se célèbre, chaque année, le mardi de Pâques, à Pithiviers, à l’occasion du Pèlerinage de Saint-Grégoire. La grande manifestation religieuse de 1886 eut un éclat extraordinaire, dont le souvenir est encore vivant parmi nous. Un évêque arménien la présidait : le successeur de saint Grégoire, Mgr Marmarian, évêque de Trébizonde.
Cette année, M. le Curé de Pithiviers, avait invité Mgr Azarian, patriarche arménien catholique résidant à Constantinople, à venir présider notre pèlerinage traditionnel. Sa Béatitude fut très touchée de cette invitation, mais il lui fut impossible de s’absenter pendant les solennités pascales. Elle voulut bien déléguer un dignitaire de l’Église d’Arménie, M. le Chanoine Gamsaragan, dont la famille habite encore les environs de Nicopolis.
Deux choses ont contribué à rendre notre fête pleine d’intérêt pour la paroisse de Pithiviers : la présence d’un compatriote de saint Grégoire et l’érection d’une magnifique statue à notre saint patron.
A trois kilomètres de Pithiviers, s’élève l’église de Saint-Martin-le- Seul : elle fut bâtie par les Bénédictins du couvent de Saint-Loup-de-Baudrevilliers. Auprès de l’église, se trouvent un vaste jardin planté de jeunes arbres et un presbytère en ruines, habité, avant 1789, par M. le Curé de Saint-Martin-le-Seul et Bondaroy.
C’est au milieu de ce jardin que se dresse sur son piédestal la statue de saint Grégoire. Le saint Archevêque est là, debout, revêtu des ornements épiscopaux, dans le costume arménien ; de la main gauche, il tient une crosse surmontée de deux serpents symboliques, et de la main droite il bénit Bondaroy et Pithiviers. Cette statue haute de plus de deux mètres est en belle pierre de Poitiers : elle fait le plus grand honneur à l'artiste qui l’a sculptée, M. Braun-Froc.
Sans doute saint Grégoire n’ambitionnait pas ces honneurs, lorsqu’il vivait en ermite, là-bas, au fond de la vallée, dans sa grotte au bord du chemin. Mais Dieu récompense ses saints ; et toujours se justifie pour eux la parole du Divin Maître : « Quiconque s’abaisse sera élevé. »
La bénédiction de cette statue aurait suffi pour exciter l’enthousiasme général et attirer la foule: cependant il y avait encore, avons- nous dit, la présence d’un représentant de ce clergé d’Arménie, dont saint Grégoire fut autrefois un des membres les plus illustres.
M. le Chanoine Gamsaragan a été chargé, pendant plusieurs années, de la paroisse et du district de Samsoun, en Asie Mineure. Cette ville, située à dix-sept heures de paquebot de Constantinople, est devenue un des ports les plus importants de la Mer Noire. En remontant l’Iris, un des quatre fleuves, dont le3 sources, d’après les traditions arméniennes, arrosaient le paradis terrestre, on arrive à la ville de Gianich, l’ancienne Nicopolis, siège titulaire de saint Grégoire. Or, Gianich faisait partie du district de Samsoun pour les intérêts religieux. La présence de M. Gamsaragan parmi nous n’est-elle pas providentielle ? Ainsi les deux églises de Pithiviers et de Nicopolis se donnent la main au travers des siècles et de l’espace, comme pour attester l’unité, l’universalité de leur mère commune, la grande Église catholique romaine. Aussi notre population a-t-elle accueilli cet hôte éminent avec une véritable sympathie, mêlée d'une bien légitime curiosité.
Notre procession du mardi de Pâques fut plus imposante que jamais. Le clergé de Pithiviers et la fanfare de l’école de Saint-Grégoire faisaient entendre tour à tour leurs mélodies sévères et leurs brillantes harmonies. Les croix du chemin, gracieusement décorées de verdure et de fleurs, étaient saluées par le chant O crux, ave ! Le cortège augmentait à chaque coin de rue, à chaque croisement de route. Le clergé et les fidèles de Bondaroy, accompagnant la châsse de Saint-Aignan, viennent bientôt grossir le nombre des pèlerins. Enfin, on arrive devant cet autel monumental, adossé à l’église de Saint-Martin-le-Seul et élevé au milieu d’une forêt de sapins. Quel beau spectacle que cette messe arménienne, dite en plein air, par un temps magnifique, devant cette foule silencieuse, recueillie et visiblement émue. Comme les assistants suivent avec intérêt les moindres cérémonies ! Comme on sent qu’un souffle d’en haut anime toutes ces âmes et fait monter vers le ciel les accents de la foi, de la prière et de la reconnaissance.
Après la messe, toute l’assistance se rend dans le jardin du presbytère pour la bénédiction solennelle de la statue de saint Grégoire. A ce moment, l’émotion est à son comble : tout le clergé, avec sa belle couronne de prêtres, et l’immense assemblée entourent d’un cercle d’honneur l’image du saint Archevêque. Trois fois, sur l’invitation de M. le Curé, la foule chante, avec un entrain toujours croissant, cette belle strophe de notre cantique populaire :
Chrétiens debout, et que nos âmes gardent L’ardente foi, dont vivaient nos aïeux;
Dieu nous bénit, les Anges nous regardent Et saint Grégoire écoute au seuil des cieux !
Après une heure et demie de repos, la procession se reforme en bon ordre comme au départ. Tout le monde admire les belles fleurs aux nuances si délicatement variées, qui ornent la façade de Saint-Martin- le-Seul : c’est l’offrande qu’apporte, chaque année, une des familles les plus honorables de la ville. Une première station a lieu à la chapelle de Notre-Dame-de-Bon-Secours si richement décorée pour le Pèlerinage. La paroisse d'Estouy, avec son clergé et sa belle châsse de saint Grégoire, nous fait ses adieux au pied de la grotte, et reprend le chemin de Moncelard. Enfin notre belle fête se termine dans l’église de Pithiviers, trop petite pour contenir la foule, par un salut solennel, pendant lequel l'Œuvre de la Sainte-Vierge fit entendre un de ses chants les plus beaux en l’honneur du Saint-Sacrement.
Souvenir inoubliable ! Gloire à Dieu ! Gloire à ses saints ! disions-nous, dans le fond de notre cœur, en présence de cette manifestation religieuse vraiment grandiose. Puisse saint Grégoire protéger la contrée tout entière et faire revivre parmi nous la foi de nos aïeux ! M. le Curé de Pithiviers a recommandé à ses paroissiens les missions d’Arménie : son appel a été entendu. Les offrandes qu’il a déjà reçues lui permettent d’entreprendre une œuvre nouvelle. Il espère fonder une Mission dans la ville de Gianich, l’ancienne Nicopolis, sous le vocable de Saint-Grégoire de Pithiviers. Par-là, il unira plus intimement dans la même foi deux nations, qui s’aiment déjà comme deux sœurs : l'Arménie et la France.
Aujourd'hui un pèlerinage existe toujours par l'église orthodoxe. Nous reprenons un article du Prof. Noubar Arpiarian de Varentz (paru dans Armenia, N°45, mai-juin 1979).
Nous y découvrons l'origine de la dévotion à Saint Grégoire à Bondaroy, les origines du pèlerinage ainsi que ce qu'il est aujourd'hui.
Mgr A. Chabot, curé de Pithiviers, a publié en 1886 un "Livre des Pèlerins de Saint Grégoire", inspiré également de la "Vita", réédité quatre fois, épuisé. Ce même Abbé Chabot fit ériger en 1892, près de Saint Martin le seul, la belle statue en pierre de Saint Grégoire.
Quant aux sources arméniennes, elles restent à trouver. Signalons toutefois qu'en 1958, le savant Abbé Jean Nalbandian, en visite à Pithiviers, fit part à l'historien régionaliste Jacques Charles que le départ de l'archevêque Grégoire de son pays aurait en réalité été motivé par une invasion perse. C'est aussi l'hypothèse avancée par l'Abbé Moufflet dans sa "Petite Histoire de Pithiviers" (1947) et rapportée par Jacques Charles dans son "Pithiviers à travers les siècles" (1964).
La tradition pithivérienne du bon chanoine de Saint Grégoire étant beaucoup plus poétique, et d'ailleurs non encore infirmée scientifiquement, c'est d'elle que nous nous inspirerons dans la brève narration que nous allons donner maintenant de la vie de Saint Grégoire l'Arménien, sans nous priver de quelques citations au passage.
Cela se passait dans le dernier quart de Xe siècle et le début du XIe à Nicopolis en Arménie et à Pithiviers en France.
C'étaient alors les temps d'Hugues Capet et de Robert Il le Pieux en France, de Jean 1er Tzimiscès et de Basile II, tous deux d'origine arménienne d'ailleurs, à Constantinople, de Hovannès-Sembat à Ani, de Gourguène-Khatchik et de Senekerim Hovannès au Vaspourakan en Arménie majeure.
Nicopolis, ou Nicople, était une ville épiscopale dépendant de la métropole de Sébaste (Sivas) en Cappadoce Pontique ou Arménie Première, qu'on appelait aussi Petite Arménie, car après les guerres dévastatrices arabo-byzantines, elle avait été repeuplée par des colons arméniens, dont beaucoup étaient des vétérans des armées byzantines. Son site, à une centaine de kilomètres à l'est de Sébaste, dans la vallée du Lycus, en arménien Kayl, rivière dénommée Tchalta-Tchaï par les barbares, et affluent de l'Euphrate, est vraisemblablement celui de l'actuelle Divrigi des Turcs.
Là vivait un jeune homme plein de vertus et de grâces, Grégoire Macaire. Issu d'une illustre famille arménienne, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à nous, fils unique, il fut élevé dans la piété et la bonté par des parents nobles par le sang mais plus encore par les sentiments. Ils lui donnèrent d'excellents maîtres qui lui enseignèrent les sciences nécessaires à un homme de bien, I'Ecriture sainte et les principaux dogmes de la "Foy catholique", c'est-à-dire universelle.
Il faut préciser qu'à cette époque le schisme d'Orient n'était pas encore consommé entre Rome et Constantinople (il ne le fut qu'en 1053), et que la communion ecclésiale entre l'Eglise arménienne officielle et le Siège de Rome est solide, malgré quelques réticences de certains diocèses orientaux sous influence perse, et durera jusqu'en 1441, date de la scission entre les Catholicossats de Sis et d'Etchmiadzine. Personne ne se formalisera donc si les auteurs occidentaux, en fait français, qui racontent la vie de Saint Grégoire, mettent à tout moment l'accent sur sa foi catholique: au Xe siècle, foi catholique et foi arménienne étaient synonymes.
Bientôt le jeune Grégoire Macaire, "prévenu d'une grâce singulière. et favorisé d'abondantes effusions de l'Esprit Saint", en sut plus que ses maîtres. Il était sincère dans ses discours, juste dans ses œuvres, chaste dans son corps, humble dans son obéissance libéral dans ses aumônes, sobre dans sa nourriture et sa boisson, pur dans ses mœurs. Ses parents remerciaient le Ciel de leur avoir donné un tel fils et priaient le Seigneur pour l'accroissement de ses vertus.
Ils devaient être largement exaucés.
A leur mort qui survint bientôt, Grégoire se trouva à la tête d'une immense fortune, qu'il distribua incontinent aux pauvres.
Il se retira dans un monastère proche de Nicople, où il étonna ses frères en religion par la ferveur de ses jeûnes, de ses prières et de ses veilles. Le soir, il se laissait enfermer dans l'église et passait la nuit prosterné sur les dalles, en adoration devant le Saint Sacrement. Seuls les portiers étaient au courant de cette manifestation d'ardeur pieuse et en étaient frappés d'admiration. Mais ils ne purent garder longtemps le silence et bientôt l'Archevêque de Nicople fut informé par les moines du zèle et de la ferveur du Frère Grégoire. Il le fit mander en son palais et constata par lui-même sa science et sa sainteté. Il le retira du couvent, l'ordonna prêtre et lui confia le ministère de la prédication, que son grand âge ne lui permettait plus d'exercer.
Grégoire fit merveille dans cet apostolat : "Dieu lui communiqua tant de grâces, que la force et la douceur de son éloquence anéantissait tout ce que l'esprit de ténèbres pouvait suggérer; dans toute l'étendue du diocèse, qu'il parcourut bientôt, ses discours inspiraient l'humilité, la charité, la patience et toutes les autres vertus chrétiennes à tous ses auditeurs ; il réconciliait les ennemis, il retirait les veuves et les orphelins de l'oppression des grands ; il convertit à la Foy une infinité d'idolâtres qui étaient encore répandus dans ce diocèse, et tout cela sans y employer d'autres armes que la gloire de la Divine Parole".
Tant et si bien que lorsque Dieu rappela à lui le vieil Archevêque, son coadjuteur Grégoire, désigné par lui, lui succéda par l'acclamation unanime du Clergé et du Peuple, à la mode arménienne.
Le saint homme déploya dans sa nouvelle charge les mêmes vertus que ci-devant, encore accrues, mais ne diminua pas pour autant la rigueur de ses macérations ni la ferveur de ses prières. En récompense de tant de zèle et de sainteté, Dieu lui accorda le don de miracles de plus en plus fréquents.
Les fidèles du diocèse se pressaient autour de leur pasteur pour lui témoigner leur attachement ou lui réclamer leur guérison. Cela tournait, comme on dirait aujourd'hui, au "culte de la personnalité" ! Qu'on nous passe cet anachronisme.
L'humilité de Grégoire s'offusqua d'un tel concert de louanges venant d'une telle multitude de peuple. Il se voyait de plus en plus détourné de ses oraisons coutumières et de la contemplation divine, qui lui étaient si chères. Il craignit "que ces honneurs du siècle ne lui enflassent le cœur" et ne lui fissent perdre en un instant les trésors précieux qu'il avait gagnés par une suite d'efforts, soutenus pendant de longues années dans le service du Seigneur. "Il eut recours alors à ses armes ordinaires" : il consulta le Saint Esprit, et aussi deux religieux amis d'une profonde piété et en qui il avait une grande confiance. Un beau soir, ils prirent tous trois le bâton de pèlerin et partirent vers l'Occident, dans la nuit paisible.
Grande fut l'émotion dans Nicople quand on apprit le départ du Saint Archevêque. Se reprochant de ne pas avoir sur le retenir, les nicopolitains se mirent à sa poursuite, mais ne purent le rejoindre, puisque la Providence en avait décidé autrement.
Au Xe siècle la pérégrination était très en faveur et nombreux sont les exemples de pèlerins de toutes nations errant de pays en pays pendant des années. Les populations leur faisaient habituellement bon accueil.
Combien dura la pérégrination de Grégoire et de ses deux compagnons : deux ans, trois ans, plus ? Nous l'ignorons. Nous savons qu'ils traversèrent l'Europe centrale, parcoururent l'Italie du Nord, franchirent les Alpes. Les épreuves ne leur furent pas épargnées : Grégoire perdit successivement ses deux compagnons, qui succombèrent aux fatigues de l'errance. Arrivé en Gaule, Grégoire était seul et le signe du Seigneur ne venait toujours pas. Il alla ça et là longtemps encore "cumque, peragratis pluribus civitatibus et oppidis illlus regionis, Pithverim devenisset oppidum ..." ; il atteignit, nous dit notre chroniqueur du XIe siècle, la place forte de Piviers, "Pithveris", dominée par un imposant donjon de pierre : c'était Pithiviers et la "riche Tour" d'Héloïse, chantée par Garin le Loherain. Là, il reçut l'hospitalité du pieux Arlefroy, chevalier de la Collégiale Saint Georges.
"La nuit suivante de son arrivée, Grégoire s'étant mis en prière, selon sa coutume, dès la première veille de la nuit, pour demander à Dieu quel serait le terme de ses voyages, il entendit une voix du Ciel qui lui dit : Grégoire mon Serviteur, vous avez déjà souffert beaucoup de maux et vous en souffrirez encore davantage pour ma gloire, mais c'est icy que je fixe le terme de vos courses et de vos voyages. Il y a près d'icy une petite église consacrée sous l'invocation de S. Martin de Vertou, que les habitants appellent S. Martin le seul, à cause qu'elle est effectivement seule et fort éloignée du tumulte des hommes ; elle n'est qu'à deux mille pas d'icy : c'est là que je vous ordonne de vous retirer et d'y passer tout le reste de votre vie à me servir comme vous vous y êtes engagé ; c'est là où votre Corps sera inhumé et que je recevrai votre âme en sacrifice de bon odeur".
Au petit matin, le bon hôte Arleroy confirma à Grégoire qu'il existait bien, à deux mille pas de là, à Bondaroy, une petite église Saint Martin de Vertou.
Le cœur transporté d'allégresse, le Serviteur de Dieu se rendit vers la souveraine du lieu, Dame Aloyse ou Héloïse de Pithiviers (960-1025), fille du comté de Chartres Eudes 1er et veuve de Raynard de Broye, pour lui demander licence de résider à Bondaroy sur son domaine de Baudrevilliers.
"Aloyse rendit grâce à Dieu d'avoir conduit chez elle un si digne prélat et d'un pays si éloigné et se tourna de son côté, elle lui dit : Seigneur et Père, vous pouvez avec confiance établir votre demeure dans tel endroit de ma dépendance qu'il vous plaira".
Sur ce, Grégoire creusa lui-même dans la falaise une grotte exiguë de huit pieds de long sur six de large, nous dit l'abbé Chabot, à proximité de la petite rivière de l'Oeuf, appelée plus loin Essonnes. C'est dans cette cellule, "qui n'avait d'autre étendue que la dimension de son corps", que l'Archevêque de Nicople, "qui avait autrefois habité les somptueux palais de l'Arménie", passa les sept dernières années de son âge, dans la prière et la méditation.
Il ne tarda pas à acquérir dans cette nouvelle patrie la même réputation de sainteté qu'en Arménie. Clercs et laïcs restaient frappés de la rigueur extraordinaire et inconnue en Occident, des jeûnes que s'imposait le Saint Anachorète arménien. Il ne prenait aucune nourriture les lundis, mercredis et vendredis. Les autres jours, après le coucher du soleil, il mangeait trois onces de pain d'orge, une poignée de lentilles attendries dans de l'eau exposée au soleil et des racines d'herbes crues qu'il se préparait lui-même. Il n'usait des mets ordinaires, à l'exclusion de la viande et du vin, que les dimanches et les jours de fête.
Cependant les offrandes affluaient à son ermitage. Il en donnait la majeure part aux pauvres : "pauperibus quorum non minima pars illic aderat". Quelquefois, le dimanche, il invitait des prêtres et des gens de bien à partager son frugal repas. Il leur offrait des pâtisseries composées par lui-même de miel et d'épices à la manière arménienne "patrio more". Et ce fut l'origine du pain d'épices de Pithiviers. De nos jours encore, des arméniens d'âge, rescapés du génocide, se souviennent que leurs parents de la région de Sébaste et de Trébizonde préparaient du pain d'épices comme au temps de Senekerirm.
Le Saint Ermite guérissait malades et infirmes et chassait les démons du corps des possédés et tout cela par la seule prière. Sa réputation de thaumaturge égalait celle de sa sainteté. Il faut dire que la vive sensibilité religieuse du temps multipliait à profusion prodiges et miracles: on en voyait partout. L'hagiographie de Saint Grégoire l'Arménien en est très riche. La "Vita" en raconte de nombreux, que nous ne saurions tous rapporter ici. Contentons nous d'en narrer un seul, assez touchant.
Un dimanche, deux femmes portaient au Saint Anachorète leur offrande. L'une, riche bourgeoise, portait dans un beau panier un pain blanc croustillant et doré à souhait. L'autre, une paysanne, portait dans son tablier un pain de seigle un peu grossier, qu'elle avait toutefois pétri en y mettant tout son cœur. "Comment osez vous porter un pain si noir à un si saint homme ? dit la dame d'un ton réprobateur. Voyez le mien !" Et la pauvre villageoise de retenir ses larmes. Mais lorsqu'elles arrivèrent à la grotte du saint homme et lui présentèrent leurs dons - ô prodige ! - le pain de la paysanne était blanc comme neige et celui de la dame noir comme charbon. Les deux femmes tombèrent à genoux en larmes et la dame confessa son péché d'orgueil et de dureté. Le Serviteur de Dieu, la pardonnant, les releva toutes deux et acceptant également l'une et l'autre offrande, les renvoya chez elles en les bénissant et les exhortant à la prière.
Un vendredi, Grégoire était venu pour deux jours se recueillir dans l'Eglise de Pithiviers. Dans la nuit du samedi, Jésus lui révéla que dans cinq jours il recevrait son âme en agréable odeur, comme il le lui avait promis sept ans auparavant.
Cette annonce emplit de joie le cœur du Serviteur de Dieu, mais de consternation celui du peuple de Pithiviers, et c'est Grégoire qui consolait ses fidèles en pleurs. Quand il s'endormit dans la paix du Seigneur le jeudi suivant 16 mars, le deuil fut général dans tout le pays. Une foule immense couvrait la colline de Bondaroy, "on n'entendait que gémissements et sanglots. Tous se voyaient privés des conseils de l'homme de Dieu et ils pleuraient celui qu'ils regardaient comme le protecteur de toute la contrée" .
Il fut inhumé en grande pompe près du maître-autel de l'Eglise de Saint Martin le Seul, église où il avait dit régulièrement ses offices durant toute sa vie de Solitaire de Bondaroy. Ce souvenir est attesté par l'usage qu'ont encore de nos jours, et même sur leur cadastre, les gens de Bondaroy de la désigner du nom d'Eglise Saint Grégoire.
Miracles et offrandes se multiplièrent bientôt sur son tombeau, à tel point que Dame Aloyse crut avisé de faire transférer les restes du saint Anachorète en sa Collégiale Saint-Georges à Pithiviers, afin de faire bénéficier cette dernière des libéralités des pèlerins et des miraculés. Les miracles continuèrent longtemps encore, mais les offrandes cessèrent bientôt, comme le rapporte narquoisement l'auteur de la "Vita".
On peut se demander à quelle date Grégoire, Archevêque de Nicopolis et Patron de Pithiviers, fut canonisé. Il semble bien que cela soit un faux problème, et qu'il n'y avait jamais eu de "procès de canonisation" au sens où on l'entend actuellement. En ces temps là la "vox populi" était bien plus souveraine que maintenant : elle suffisait à proclamer un Saint et à choisir un Patron. L'Eglise confirmait et consacrait ensuite ces choix par sa simple présence aux cérémonies. Sans nul doute, cela s'est passé ainsi pour saint Grégoire et presqu'aussitôt sa mort. En effet, dès 1040 sous le règne de Henri 1er de France, est signalée l'existence à Saint-Salomon d'un reliquaire qui renfermait les ossements de saint Grégoire et qui fut sauvé des flammes par un miracle attribué au saint : s'il y a reliquaire, il y a saint. En outre, lorsque le 22 juillet 1324, on procéda à la translation solennelle des reliques de saint Grégoire dans une riche châsse qui devait être déposée dans l'église paroissiale de Pithiviers, la cérémonie fut présidée on ne peut plus officiellement par l'Evêque d'Orléans, Roger de la Chapelle, assisté des abbés de cinq abbayes avoisinantes, dont celle de Micy-Saint-Mesmin. La "sainteté" de Grégoire l'Arménien était donc solidement avérée de longue date.
Ces reliques ont depuis subi des vicissitudes nombreuses au cours des guerres et des révolutions. Actuellement, ce qu'il en reste se trouve pour partie dans le reliquaire du grand-autel et dans la châsse de saint Grégoire à Saint-Salomon, et pour partie dans l'église paroissiale d'Estouy, petit bourg voisin de Pithiviers. Nos compatriotes seront certainement intéressés de savoir que l'abbé de la Taille, curé de Pithiviers en 1861, envoya au couvent de Saint-Lazare de Venise, chez les Pères mekhitaristes, trois fragments de reliques de saint Grégoire, ainsi qu'il appert d'un procès verbal du 19 Novembre 1861, renfermé dans la châsse de saint Grégoire.
Depuis plus de huit siècles, la dévotion à saint Grégoire l'Arménien est restée très vive à Pithiviers et dans la région avoisinante. Tous les lundis de Pâques, parfois les mardis, et jusqu'à quatre fois dans l'année à certaines époques, la châsse de saint Grégoire était portée en procession de Saint-Salomon de Pithiviers à Saint-Grégoire de Bondaroy, où la messe était chantée solennellement. Les pèlerins ne manquaient pas d'aller visiter la chapelle de Notre-Dame de Bon Secours et la Grotte de saint Grégoire. La procession revenait vers Pithiviers en suivant la charmante vallée de l'Oeuf, connue dans le pays sous le nom de Vallée de Saint Grégoire, et faisait une dernière station dans l'église de Saint-Aignan, avant de rentrer en ville.
Après une éclipse momentanée dans le premier quart du XXe siècle, consécutive à la politique dite de séparation de l'Eglise et de l'Etat, le pèlerinage eut à nouveau lieu en 1933 ; et fut présidé, ainsi qu'en 1934 et 1935, par Mgr Grégoire Bahaban, évêque d'Angora et Chef de la Mission arménienne catholique à Paris, que l'auteur de ces lignes a eu l'honneur de connaître dans sa jeunesse. Son nom de Grégoire le prédestinait évidemment à cette fonction. Le pèlerinage continua chaque année jusqu'en 1960 et nombreux sont les pithivériens qui se rappellent y avoir participé.
En 1979, M. l'abbé Vendet, le dynamique curé de Pithiviers et de Bondaroy, a décidé, avec le concours des Arméniens, représentés par l'Association Arménienne d'Aide Sociale, que l'auteur de ces lignes a l'honneur de présider, de rétablir sans plus tarder le pèlerinage annuel de Saint Grégoire l'Arménien.
Le dimanche 8 juillet 1979, la procession, organisée selon la tradition par le curé de Pithiviers, se déroula sous la présidence de Mgr Séropé Akélian, Père Supérieur du Collège Mekhitariste de Sèvres assistés de deux Vartabeds, qui célébrèrent la messe de rite arménien dans l'Eglise de Saint Grégoire.
Il est important de savoir que, par un bref du 4 juin 1888, S.S. le Pape Léon XIII a nommé saint Grégoire co-titulaire de l'Eglise de Pithiviers, conjointement avec saint Salomon, roi breton.
Ainsi la Bretagne et l'Arménie se trouvent associées pour avoir donné deux saints Patrons à Pithiviers en France.
Nous voudrions terminer sur une note de poésie en mentionnant le beau "Cantique à Saint Grégoire" de Paul Véron (début XXe), qui ne comporte pas moins de 12 strophes, dont voici la première :
Salut à vous, rivages d'Arménie, Ciel d'Orient, terre des oliviers, Nicopolis, ville heureuse et bénie, Où Dieu choisit le Saint de Pithiviers !
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