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Le chêne de l'Evangile (légende orléanaise)


La commune de Chanteau, située au milieu de la forêt d'Orléans, ne compte que 73 maisons et 348 habitants. Les débris de tuiles et de briques que la charrue ramène au-dessus du sol en divers endroits, font présumer que cette paroisse était plus populeuse autrefois qu'elle ne l'est aujourd'hui, et cette préemption se change en certitude A la lecture des anciens titres de propriété, Chanteau aurait partagé ses vicissitudes avec toutes les localités riveraines de la forêt, au secours desquelles l'industrie et l'amélioration des voies vicinales ne seraient pas accourues. Les privilèges concédés par les rois, les princes apana­gistes et les tréfonciers, furent, croyons-nous, les causes de ces agglo­mérations d'hommes auprès des bois. En effet, les habitants durent affluer aux lieux qui fournissaient le pacage et le panage pour leurs bestiaux et pour eux-mêmes, l'usage du bois mort et du mort-bois. Mais à mesure que ces privilèges étaient restreints, puis supprimés, hommes et bêtes délaissaient les lieux où ils ne trouvaient plus les mêmes moyens d'existence. Chanteau possédait, dans son voisinage, une autre source de prospérité; nous voulons parler de Notre-Dame-­d'Ambert, monastère riche et peuplé de nombreux religieux.


Au Commencement du XVe siècle, temps où Ambert et Chanteau florissaient, on voyait, à l'extrémité nord de la rue de la Bouverie, s'élever une maison, derrière laquelle s'étendait un jardin séparé de la forêt par le grand chemin d'Orléans à Rebréchien. Cette maison était habitée par une mère et ses trois fils. Le père, attaché dès son enfance au service du monastère, avait su mériter l'amitié du prieur, qui lui avait appris à lire et à écrire. Peut-être le projet du religieux était-il d'attacher Pierre au couvent, en qualité de frère lai, mais Pierre voulut se marier. Alors, le monastère lui donna la maison dont nous avons parlé et trois arpents de dépendances, pour en jouir, lui et ses descendants, pendant 199 ans, à la charge de payer 16 sols parisis de rente et 18 deniers de cens, plus la dîme du grain, de deux gerbes par arpent, et celle du vin, d'une jalaye par tonneau. Après quelques années de mariage, Pierre mourut, laissant à sa veuve et à ses enfante, l'héritage que lui avait donné le couvent, et un livre des Evangiles qu'il tenait de l'amitié du prieur.


Jacqueline, ainsi se nommait la veuve, savait que dans le malheur la véritable consolation n'est qu'en Dieu. Elle s'adressa donc à celui qui n'abandonne jamais l'affligé, et le courage lui revint. Elle en avait grand besoin, la pauvre femme, pour nourrir et élever ses enfants. Parfois le découragement la prenait ; elle se retirait alors au fond de son jardin, et là, assise sur un petit tertre de gazon, elle puisait la résignation dans le livre des Évangiles. Les enfants voyaient-ils leur mère ainsi occupée, ils s'approchaient d'elle doucement et lui disaient : Mère, raconte-nous donc une des belles histoires de ton livre ; et Jac­queline lisait quelques-uns des traits de la vie de Jésus-Christ. C'était le paralytique ou l'aveugle-né, qui n'avaient dû leur guérison qu'à leur foi ; c'était l'enfant prodigue qui nous révèle l'inépuisable miséricorde de Dieu; ou bien encore le bon Samaritain. Elle faisait découler de ces lectures des réflexions qui tendaient à rendre ses enfants meilleurs, en leur inspirant l'amour de Dieu et du prochain. Un jour Jacqueline racontait la prédilection de Jésus pour l'enfance : "On lui présenta de petits enfants, afin qu'il leur imposa les mains et qu'il priat, et les disciples les repoussaient. Jésus leur dit : Laissez ces enfants et ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. » A ce moment, un nuage tout noir vint à passer, et versa une pluie abondante sur la petite famille. Elle s'empressa de gagner la maison.

— Quel dommage, dit le cadet, que nous n'ayons pas là-bas un de ces beaux chênes qui croissent dans la forêt ! la mère ne craindrait plus le soleil ni la pluie, et elle pourrait lire dans son beau livre autant qu'elle le voudrait.

— Mes enfants, reprit Jacqueline, vous pouvez en planter un.

— La mère a raison ; je le planterai, dit l'ainé.

— Non, non, ce sera moi, reprit le cadet.

— Pas du tout, ajouta le troisième, ce sera le petit Étienne.


Et chacun de vouloir l'emporter. La mère intervint encore.


— Des frères qui s'aiment bien doivent tout faire en commun; ainsi, Pierre ira chercher un beau plant; Guillaume fera un trou dans lequel vous placerez le chêne à vous trois, et Etienne recouvrira de terre les racines.

— C'est cela, dirent les enfants et en frappant des mains, oh comme notre chêne sera beau. La chose fut faite ainsi que l'avait ordonné Jacqueline, et tous les jours, il fallait voir les trois frères mesurer leur arbre!

— Mère, disaient-ils souvent, notre chêne ne grandit pas !

— Patience, enfants, rappelez-vous le grain de sénevé do l'Evangile : "Ce grain est, à la vérité, la plus petite de toutes les semences; mais quand il a poussé, il est plus grand que tous les autres légumes, et il devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent et habitent dans ses branches." Cultivez votre chêne et reposez-vous sur Dieu du soin de le faire croître. ll ne nous reste plus, fit observer Guillaume, qu'à donner un nom à notre arbre. Pierre et Etienne applaudirent ;à cette idée; mais la difficulté était de s'accorder. Pierre voulait l'appeler le chêne des bons enfants ; Guillaume, l'arbre des trois frères; Etienne, le chêne de la bonne mère. Enfin, pour sortir d'embarras, ils s'adressèrent à Jacqueline. Celle-ci trouva les trois dénominations très jolies; mais elle pensa que celle de Chêne de l'Evangile conviendrait peut-être mieux.


— Oh I c'est vrai, s'écrièrent les enfants, nous eussions dû y songer. Cependant l'arbre poussait, les trois frères grandissaient aussi, et Jacqueline devenait vieille. Bientôt elle tomba malade et sentit sa fin approcher. Un matin, c'était le jour des saints Anges-Gardiens, elle voulut que ses enfants la portassent au pied du chêne.

— Mère, lui dirent-ils, l'air est piquant et il a gelé la nuit dernière ; il fait trop dur pour toi dehors.

— Non, non, portez-moi sous le chêne. Ils obéirent.

Lorsque Jacqueline fut placée : Mes enfants dit-elle, j'ai voulu venir ici pour vous faire mes adieux; car je sens que je mourrai bientôt. Vous m'avez toujours aimée; et pourtant il vous est arrivé de vous quereller quelquefois. J'ai réussi, il est vrai, à ramener l'amitié entre vous; mais quand je n'existerai plus, qui pourra me remplacer ?

— Mère, nous nous aimerons toujours.

— Oui, oui, je l'espère; mais pour que je meure sans inquiétude, jure sur ce livre que si la discorde naît parmi vous, vous viendrez vous réconcilier au pied de cet arbre que vous avez planté.

Les trois frères placèrent leurs mains sur l'Évangile que Jacqueline tenait sur ses genoux, et dirent : Mère, nous le jurons.

— Bien, mes enfants, embrassez-moi ; maintenant je mourrai contente.


Le lendemain, Jacqueline cessa de vivre, et ses enfants la pleurèrent pendant longtemps. Les trois frères se marièrent. Pierre, l'aîné, garda la maison ; Guillaume et Etienne se fixèrent dans le champ aux Nonains ; le premier, à la Louvetiers, et le dernier à Aulaine. Durant la semaine, chacun se livrait à ses travaux ; mais le dimanche venu, les trois familles se réunissaient, à l'issue de la messe, et prenaient ensemble le chemin de l'habitation de Pierre, où elles passaient le reste de la journée.


Quelques instants avant de se séparer, hommes, femmes et enfants se groupaient autour du chêne et écoutaient, avec respect, un passage de l'Ecriture Sainte. A la suite de cette lecture, les querelles de ménage, les petites divisions intérieures étaient exposés et la paix se faisait. Tous se retiraient contents. Il était pourtant des occasions où l'on n'attendait pas le dimanche pour se rendre au pied de l'arbre ; c'était lorsque deux des chefs de famille avaient eu une altercation. Ainsi, un jour, Pierre dînait, quand le petit Jean accourt lui dire :

— Oncle, maman vous prie de venir à la Louvetière tout de suite.

Pierre suivit l'enfant. Arrivé chez sa belle-soeur, celle-ci lui apprit que Guillaume et Etienne s'étaient querellés le matin, au sujet de la basse-cour d'Ambert, que chacun voulait prendre à ferme, et qu'ils s'étaient quittés en se faisant des menaces. Pierre alla aussitôt les trouver l'un après l'autre, et leur dit :

— Frères, ce soir, après le coucher du soleil, la mère nous attend sous le chêne.

Guillaume et Etienne se rendirent à cette sommation, et Pierre leur demanda s'ils ne s'étaient pas querellés dans la matinée.

— Il est vrai, répondit Guillaume; mais c'est la faute d'Etienne qui veut se faire donner la ferme de la Basse-Cour, lorsqu'il sait que messire le procureur me l'a promise.

— Et moi, répliqua Etienne, j'ai la parole de monseigneur le prieur.

Après avoir réfléchi, Pierre leur dit :

— Toi, Guillaume, tu n'as que des filles ; et tes garçons, Etienne, sont encore enfants. Vous ne pouvez donc, ni l'un ni l'autre, exploiter une métairie sans voue faire aider par des étrangers. Eh bien réunissez-vous, joignez vos quatre bras ensemble, et tout n'en ira que mieux.


Guillaume et Etienne avouèrent que leur frère avait raison, et tous trois, s'étant embrassés, levèrent les yeux vers la cime du chêne, en disant "Mère, les enfants ne t'ont pas oubliée".


Quelques jours après, le bail de la métairie d'Ambert était passé au nom des deux frères. Pierre, Guillaume et Etienne moururent ; et leur vénération pour le Chêne de l'Evangile avait passé dans l'âme de leurs enfants. Ceux-ci transmirent ce respect à leurs descendants, et c'est ainsi que par la voie de la tradition, cette légende nous est parvenue.


La maison de l'Évangile a été détruite vers 1810. Treize ans après, le chêne qui étendait ses branches au-dessus de l'ancien jardin, devenu un vague, vulgairement appelé Plateau, fut compris dans une vente de bois et abattu. Quinze ans s'écoulèrent ensuite, pendant lequel, le souvenir de l'arbre allait s'affaiblissant. Enfin, l'administration des forêts de la Couronne fit construire, en 1839, une habitation pour deux gardes et un pied-à-terre pour ses officiers. Cette construction simple et d'un très bon goût, a été élevée non loin de l'ancienne maison de l'Évangile, de l'autre coté de la route, qui conduit d'Orléans à Rebréchien, et à l'angle de celle qui va à Neuville. L'édifice terminé, on défricha une partie du bois qui l'entourait, pour en faire un jardin. Dans ce bois, tout auprès de la route, et vis-à-vis de la place que le Chêne-de-l'Evangile avait occupée, se trouvait un chêne bien fait et vigoureux ; l'inspecteur des forêts le conserva, afin de perpétuer le souvenir de l'ancien. Le même motif fit donner à l'habitation des gardes le nom de l'Evangile. C'est ainsi que, grées â M. Le Oriel, le chêne de notre légende sera sauvé de l'oubli pendant de longues années.


Dans Annales Religieuses d'Orléans - 1891

 

Le 27 mars 2015, c’est une nouvelle page de l’histoire du Chêne de l’Évangile qui s’est tournée.

Cet arbre plus que séculaire, attaché à l’histoire de Chanteau depuis le XVème siècle, a dû être abattu par les services de l’Etat. Rongé de l’intérieur par un champignon, il menaçait de tomber.

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