Le pèlerinage à Notre Dame de Boiscommun et Saint Pipe de Beaune
Ed. Pagnerre raconte dans le Journal du Loiret en 1855. L'article sera repris par le Bulletin de la Société d'émulation de l'arrondissement de Montargis (n°82/1990)
L'église, romane de portail occidental, gothique ailleurs, avait suscité la fête patronale du 25 mars. La dernière mention d'un 25 mars habituel, je la trouve dans une lettre de rémission accordée par Charles VI en 1418. ElIe commence en évoquant un garçon de 16 ans, Thesson de Beausse, "le jour de la fête Notre-Darne de Mars à Boiscommun où il s'en alla jouer et ébattre à voir biller (c'est à dire jouer aux boules) plusieurs compagnons qui billaient en une cour près de la Maison-Dieu. II s’arrêta pour voir l’ébattement de la bille (boule) et s'assit sur une grosse bûche avec plusieurs compagnons" . Mais le jeu dégénère, il y a rixe fatale, d'où la lettre de rémission. Pas question de pèlerinage, ce que la lettre ni aurait pas manqué de souligner car les grands rassemblements étaient considérés comme des excuses à I'énervement dans les lettres de rémission.
Or onze ans après ce fait divers, c'est I'incendie de l'église de Beaune et les reliques de saint Pipe trouvent refuge à Notre Dame de Boiscommun, très précisément en la chapelle Saint Louis. Est-ce leur sauvetage surprenant dans une église entièrement calcinée ou était-ce une habitude déjà ancienne à Beaune, la foule accourt. ElIe accourt d'autant plus, en cette période où tout semblait désespéré et où le malheur frappait tout le monde, que les gens ne pouvaient plus que s'en remettre au ciel et de préférence par leur intercesseur local, Saint Pipe. Évidemment les gens de Boiscommun prennent ce pèlerinage pour un honneur à leur patronne, Notre Dame. D'un coup, le pèlerinage à Notre Darne de Boiscommun vient de naître.
Jusque là en Gâtinais il y avait deux grands pèlerinages mariaux : Ferrières au premier rang, et, loin dernière, Ste Marie de Lorris. Aussitôt Boiscommun éclipse Lorris, et les tribunaux qui condamnaient souvent les criminels aux pèlerinages, imposent, même au delà de la province de Sens, un pèlerinage à Notre Dame de Boiscommun à divers condamnés. Le chapelain de la chapelle St Louis est celui qui atteste I'authenticité du pèlerinage du condamné et devient de fait le custode de la châsse de saint Pipe en l'église Notre Dame. Déjà avantagée puisque moins touchée que le voisinage et surpeuplée de réfugiés, Boiscommun qui dès le milieu du XV e siècle profite du premier essor du safran, non parce.qu'elle a le territoire pour le cultiver, mais parce que ses marchands, habitués à aller au loin, sont les premiers à le négocier (Pithiviers étant beaucoup plus atteinte dans ses œuvres vives) , Boiscommun est comblée par ce pèlerinage—miracle. II lui apponte parfois 10 000 personnes, et pas forcément le 25 mars. Une aubaine, car qui dit pèlerins dit chalands. En 1450 on peut opposer la pauvreté de Maurice de Fauquembergues, curé de Beaune, qui meurt sans même un lit, ni même un matelas ou un oreiller, son église toujours détruite et ne possédant en tout et pour tout que son bréviaire, précise le doyen du Gâtinais et richesse de Guillaume Boucher dit Testenoire, le chapelain de Boiscommun qui reçoit tant et tant d'offrandes au nom de saint Pipe qu'il est le banquier de Boiscommun ; pas de personne aisée en age de faire son testament qui ne le choisisse comme exécuteur testamentaire car c'est la meilleure garantie que les volontés du défunt seront accomplies. Tant et si bien, car la chose est voyante, qu'en 1451 on choisit comme chapelain, pour le remplacer, le vicaire de Beaune (et qui Le reste), Jean Charretier. Néanmoins les pèlerins, les chalands, ne cessent d'affluer, et vers 1460 le principal hôtelier de Boiscommun, Etienne des Mottes, y joue un rôle équivalent à celui de Testenoire dix ans auparavant.
Mais à ce moment là Beaune commence à se remettre en état et demande Ie retour des reliques de saint Pipe. Dans ce qu'il écrit sur Beaune, dom Morin mentionne le legs qu'il aurait fait à feu Ado Périou, prêtre, curé du lieu aux moines de St Denis à Beaune. J'ai lu d'un commentateur que ce Périou serait né de la cervelle de dom Morin comme bien d'autres choses. Or j'ai retrouvé Odon Périou dans les comptes du doyenné de Ferrières ; c'est lui, alors curé de Beaune, qui demande et finalement présidera au transfert de la châsse de Boiscommun à 'Beaune. Le doyen précise que peu avant la fin de sa vie, voyant le succès de saint Pipe en sa paroisse, l’œuvre de sa vie en quelque sorte, il demanda à devenir moine à Ferrières où il mourut en 1479 non sans avoir légué ses biens à Beaune, à l'abbaye de Saint Denis qui lui avait fourni les pièces nécessaires et I'appui pour aboutir. Tout ce que dom Morin raconte au sujet de saint Pipe provient d'Odon Périou, mort moine à Ferrières et dépositaire des pièces anciennes de l'abbaye de St Denis le concernant. C'est dire qu'on n'est pas près de trouver des justificatifs valables pour contester les données de dom Morin.
A la demande de Périou font suite en 1460 une visite du doyen du Gâtinais qui procède aux premières confirmations depuis la destruction de l'église, plusieurs visites en 1460 et 1461 de Louis de Melun, vicaire général et neveu de Archevêque de Sens. Finalement le 6 novembre 1462 on procède à la translation des reliques, en présence de archevêque Louis de Melun qui les authentifie par un acte toujours conservé (et récemment étudié par le professeur Marc Verdier).
On comprend que ce transfert ne faisait pas du tout I t affaire des habitants de Boiscommun. Disons même qu'il a marqué Ie point de départ d'une très longue querelle de clocher entre habitants de Beaune et de Boiscommun. Louis XI, mis au courant, vient donc à Boiscommun pour rendre confiance aux habitants par ses propres pèlerinages à Notre Dame, chez eux. Au chapelain, de moins en moins sollicité, il offre une compensation ; ses successeurs seront à la collation du roi, c''st à dire nommés par Ie souverain, ce qui valorise le poste ; et il relève par une fondation nouvelle la chapelle St Louis (qui avait été totalement médiatisée par saint Pipe) en échange d'une messe pour le roi tous les vendredis, qui sera annoncée par 60 coups de cloche, manière d'attirer I'attention du voisinage sur Notre Dame de Boiscommun.
Néanmoins saint Pipe parti, le pélerinage à Boiscommun ne reprend pas. Mieux que ce là, quand le cardinal Jean d'Albi, visitant I'église de Beaune, le lendemain de Noël 1470, et apportant au curé Périou le témoignage de la réputation méridionale du saint, accorde de nouvelles indulgences à ceux qui visiteront les reliques de saint Pipe pour aider à reconstruire I'église de Beaune encore incomplète, alors le pèlerinage prend une extension jamais vue. Certaines années les chapelains de Beaune évaluent les présents à 20 000 personnes. Les habitants de Boiscommun ne peuvent qu'être envieux du succès de leurs voisins : alors que leur ville est à son âge d'or , une seule lui a échappé, ce qui ne sera pas sans conséquence :le pèlerinage.
II reste toutefois un détail du séjour forcé à Boiscommun de saint Pipe dans sa tradition. Dans son territoire iI n'y avait pas de troupeaux, sinon des troupeaux d'oies. On avait donc fait à Boiscommun de saint Pipe un gardien d'oies, sans penser que des oies se gardent avec une badine et non avec un pipeau et une musette. Et les Beaunois, et dom Morin, et la tradition ont repris la version de Boiscommun : un peu apprêtée...
Le 9 juin 1619, un pèlerinage à la fontaine de Saint-Pipe ne réunit pas moins de soixante paroisses, sollicitant la cessation d'une désolante sécheresse. Après la messe, dit D. Morin, 284, il y eut une très grande pluie, dont procès-verbal fut dressé par les prestres et curés qui estoient venus en procession. » in L'histoire du Diocèse d'Orléans par l'abbé Duchâteau
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