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La rue des Quatre-Fils-Aymon


En passant sur le quai Fort Alleaume en arrivant du pont Thinat et avant d’arriver au cloître Saint Aignan, la rue des Quatre Fils Aymon attire régulièrement mon attention.

vue du Fort Alleaume

En bonne lectrice de la bibliothèque de rose de mon enfance, j’y associe volontiers les quatre filles du docteur March. Rien à voir, bien sûr !

A la bibliothèque diocésaine, nous sommes bien placés pour répondre à cette question, alors me voici, enfouie dans le fonds ancien à la recherche d’explications et répondre à cette question : pourquoi ce nom à Orléans ?

Pour les érudits du Moyen Age les Quatre Fils rappellent la chanson de geste de Renaud de Montauban, ainsi qu’un roman de chevalerie tiré de la même œuvre (XIIe siècle).

Renauld, Allard, Guichard et Richard sont les quatre fils Aymon. Leur père est le Duc Aymon. Ils ont un cousin : Maugis. Maugis a des talents d'enchanteur. Il a délivré le cheval Bayard d'un volcan. Bayard est un cheval ayant des pouvoirs magiques et une origine surnaturelle : il est le fils d'un dragon et d'une serpente. Bayard a été libéré d'une île volcanique par l'enchanteur Maugis. Maugis décida de le rendre à l'empereur Charlemagne qui le donna aux frères Aymon.

Cela s'est passé dans le château de Charlemagne, où Renauld venait d'être nommé chevalier, dans la salle de loisirs où il jouait une partie d'échecs avec Bertolai, le neveu de l'empereur. Bertolai l'a provoqué, puis ils se sont querellés et Renauld, énervé, l'a blessé mortellement. L'empereur décida alors de venger son neveu. Pour sauver leur vie, les fils du Duc Aymon se sont enfuient.

La fuite se poursuit jusque dans les profondeurs de la Forêt d'Ardennes. Ils retrouvent leur cousin Maugis et lui raconte leur triste aventure. Il leur dit donc qu'il n'a jamais porté l'empereur dans son cœur et qu'ils peuvent donc compter sur lui. Avec l'aide des talents magiques de leur cousin, ils bâtissent la forteresse de Montessort sur un rocher dominant la Meuse pour que tous s'y réfugient. Ils y mènent une vie tranquille pendant plusieurs années, lorsqu'un jour Charlemagne les retrouve, toujours déterminé à se venger. Il manigance avec un jeune seigneur et parvient à se faire ouvrir les portes du château. Ils combattent avec force et courage les hommes de leurs ennemis, puis avec Bayard, ses frères et son cousin, Renauld s'enfuit vers la forêt par un passage secret. Maugis leur parle d'un combat entre le roi Yon de Gascogne et les Sarrasins et il pense que cela serait digne de leur courage et de leur force.

Convaincus, les frères chevauchent jusqu’en Gascogne où, avec l’aide du fantastique cheval Bayard, ils accomplissent de véritables prouesses. À tel point que le roi Yon leur offre le château de Montauban pour les récompenser. Mais ce n'est pas le temps qui atténuerait le désir de vengeance de l'empereur. Il parvient à piéger les fils Aymon en leur faisant croire à la paix. Encerclés par les soldats de l’empereur, les quatre frères seraient morts si Bayard n'était pas intervenu à coups de sabots et de morsures.

Charlemagne est furieux :

– Qu’on assiège le château ! hurle-t-il à ses hommes.

Un siège terriblement long commence. Dans la forteresse, les habitants meurent de faim et de soif. Les frères doivent boire le sang de Bayard, le seul animal épargné, pour ne pas périr. Mais alors que tout espoir semble perdu, Renaud découvre par miracle un souterrain qui leur permet de s’enfuir à nouveau.

Toutes ces années de combat, de poursuite et de querelles pèsent sur les épaules des 4 frères et de Bayard.

L'empereur décide finalement de proposer une offre de paix : il arrêtera de poursuivre les fils Aymon si Bayard lui est livré et que Renauld part en pèlerinage à Jérusalem.

Plein de regrets, Renauld accepte. La paix l'emporte sur son attachement au cheval. Il le remet au roi avant de partir tenir ses promesses.

Charlemagne (détestant le cheval) ordonne qu'on le jette dans la Meuse avec une meule au cou. Cela est fait. Le cheval erre pendant des heures dans l'eau jusqu'au moment où, triste et énervé, il tape d'un grand coup de sabot sur la meule, la brisant. Il parvient à regagner la rive.

Encore aujourd’hui, on raconte que l’on peut apercevoir le fabuleux cheval et entendre les cris et les hennissements désespérés qu’il pousse de ne pouvoir retrouver ses maîtres...

Après avoir pris connaissance de cette légende chevaleresque, plongeons-nous dans l’histoire d’Orléans.

Naturellement j’ouvre le livre Les rues d’Orléans d’E. Lepage, imprimé en 1899. La notice est succincte, cependant on y trouve ceci :

Les noms de rue du Paradis, rue de l’Enfer, ont également été attribués à cette voie. On y accédait autrefois du quai par une échelle, qui passait par-dessus les murailles et que l’on enlevait le soir. Une pierre sculptée où étaient représentés les légendaires « Quatre fils Aymon chevauchant » sur un même cheval a, plus tard, servi à dénommer cette rue. Ce même nom désigne également l’école municipale de garçons située au côté ouest de cette voie, et dont l’entrée principale se trouve impasse du cloître Saint Aignan.

Il faut noter que cette rue se trouvait dans la 3e enceinte de la ville.

Lepage étant succinct, j’ouvre la « bible » des rues d’Orléans : Histoire des noms des rues d’Orléans de l’abbé Gaillard qui nous oriente vers les plans de villes d’Orléans de Fleury et d’Inselin.

Voici l’extrait du plan de Fleury :

Plan Fleury

Elle est appelée rue de l’Enfer dans sa partie sud (infernum en latin signifiant qui est en bas), au sens de terrain bas, terrain en descente vers la Loire et, rue du Paradis dans a partie nord, parce que proche du cimetière de Notre Dame du Chemin.

Sur le censier* de 1676, elle est appelée indistinctement : « rue du Paradis », « rue des Meuniers » et « rue des quatre fils Aymon ». Les moulins de Saint Aignan et la rue des Moulins se trouvaient proches de cette rue.

Sur le plan d’Inselin (vers 1700) et par la suite, c’est la « rue des Quatre Fils Aymon » du nom d’une enseigne de cette rue (enseigne disparue, mais restaurée à l’actuel n°5 de la rue). L’abbé Gaillard note la représentation de cette enseigne à savoir la même que Lepage : « Quatre fils Aymon chevauchant »

Plan Inselin

Tout se recoupe donc et nous donne cette explication : c’était une enseigne. Comme dans beaucoup de noms de rues de notre ville qui ont pris des noms d’enseignes. Mais je n’allais pas m’arrêter là avec cette nouvelle question : qu’elle était cette enseigne ?

Depuis l’antiquité, on se sert d’enseignes ou d’emblèmes, sculptés ou accrochés à une potence pour reconnaître trois types de maisons : les hôtels, les logis et les maisons destinées au commerce. L’emploi des numéros remonte à Orléans à l’année 1790. Avant cela, des enseignes et des rues « courtes » permettaient de se situer facilement dans la ville.

Évidemment, vive gratitude à l’abbé Gaillard qui note une référence : les enseignes du vieil Orléans par le Dr Patay. Nous l’avons en bibliothèque, c’est donc reparti dans la quête.

Voici ce que nous trouvons dans les Mémoires de la Société Archéologiques et Historiques de l’Orléanais de 1880 (T.XVII).

Une enseigne existe toujours au n°39 de la rue Bellebat (La façade de cette maison est perpendiculaire à la rue, mais on peut voir cependant l'enseigne par dessus le mur de clôture).

Au-dessous de la corniche, et un peu à gauche de la porte d'une petite maison sans caractère, se trouve une pierre rectangulaire sur laquelle est sculptée la légende des quatre fils Aymon.

L'intrépide Bayard (auquel il manque une des jambes de devant) porte allègrement ses quatre cavaliers casqués et cuirassés. Le premier, René de Montauban sans doute, tient de la main gauche les rênes du destrier ; dans la droite il a une longue bannière, sur laquelle on distingue encore un aigle éployé et un monogramme composé des trois capitales C M H. Les autres fils du duc Aymon : Guichard, Alard et Richardet, viennent à la suite. Au bras gauche, ils ont un bouclier; de la main droite, ils doivent tenir une arme.

enseigne Quatre-Fils-Aymon

Cette curieuse sculpture doit certainement provenir de la façade d'une maison de la rue actuelle des Quatre-Fils Aymon, qui, dans le censier de 1676, est indistinctement appelée: rue de Paradis, des Meuniers, des Quatre-Fils Aymon.

[En février 2019, je m’en suis allée jeter un œil au 39 rue Bellebat, aujourd’hui il n’y a plus traces de cette enseigne].

[ici, reproduction de la gravure originale dans le livre du docteur Patay].

La troisième maison, à droite, après la rue Coquille, y est dénommée « la maison des Quatre-Fils-Aymon, » sans qu'il soit fait mention d'enseigne pendante ou empreinte dans le mur. Cet immeuble appartenait alors à Mlle de Cottinville. Le C est la lettre la plus apparente du monogramme signalé plus haut. Nous pensons donc que l'enseigne qui nous occupe décorait la demeure de la famille de Cottinville.

Une question en pousse toujours une autre : Qui est cette Mlle de Cottinville ?

Poussons donc nos recherches. Nous trouvons un maire d’Orléans, Lambert de Cottinville en 1669. S’agit-il de cette famille ? Mal retranscrit, celui-ci s’appelait « François Lambert », écuyer, Seigneur de Cottainville et de la Rifaudière, il se marie en 1636 avec Madeleine D’Avaleau. Le nom s’est alors modifié et sa dernière fille se nomme Françoise Lambert de Cottainville comme il était coutume à l’époque de rajouter la ville d’origine.

En 1717, à l’église saint Paterne, Madeleine Lambert de Cottinville épouse Jacques d’Orléans, Seigneur de Rère, veuf en premières noces de Mme Marie Catherine Midou de Moléon. Est-ce donc cette famille qui habitait cette belle demeure au coin de la rue de Bourgogne et de la rue des Quatre Fils Aymon ?

Il n’est pas difficile de situer la maison d’après la description : « la troisième maison à droite, après la rue Coquille »

Nous pouvons dénicher dans le journal du Loiret (29 mars 1829) une description assez exhaustive de la maison lors d’une vente auprès d’un notaire :

A noter que les Quatre-Fils-Aymon peuvent aussi nous évoquer l’école sise au sein de la paroisse Saint Maurice-Saint Eloi disparue à la Révolution. En effet, dans un bel article de Jules Baillet nous retraçant l’histoire de cette paroisse, paru dans le Bulletin de la Société Archéologie et Historique de l’Orléanais de 1944 (T. XXV n°244)

Nous lisons : La rue Saint Eloi, appelée quelques fois rue saint Maurice, était l’artère principale de la paroisse. […] Au midi de l’église était une maison d’école. La paroisse en comptait trois. Celle-ci s’appelait : le LOGIS ou la MAISON DES QUATRE-FILS-D’EMOND. Là professait « honneste personne » Jacques Charpy, « maistre d’escole ».

Aujourd'hui [2019] vue de l'actuelle maison sise 5 rue des Quatre-Fils-Aymon où se situe la reproduction de l'enseigne :

 

*censier : Papier censier, ou censier, est les livre où s’enregistraient les cens. On pourrait dire également : un registre d’immeubles médiéval. Le « cens » était une redevance payée par le possesseur d’une terre au seigneur du fief.

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