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Le puits Saint Sigismond (légende orléanaise)


Environs de Saint Sigismond

Dans les Annales Religieuses et Littéraire d'Orléans - 1892

Theudoald, avait en partage tout le territoire occupé aujourd'hui par les communes de Nids, Tournoisis, Saint-Péravy-la-Colombe, Saint-Sigismond et Gémigny, et il avait établi sa demeure en un lieu nommé Chan. Theudoald avait combattu sous Childéric et Clovis, puis sous Clodomir, roi d'Orléans. A la mort de ce dernier, il était revenu à Chan, brisé par les fatigues, après avoir assisté à un grand nombre de combats et vu beaucoup d'événements dans lesquels il avait été lui-même acteur. La vieillesse aime à louer les temps passée, et Theudoald avait vieilli ; aussi ne laissait-il échapper aucune occasion de raconter à son petit-fils, seul membre survivant de toute sa famille. les souvenirs de sa jeunesse. L'enfant écoutait ces récits tantôt avec respect et tantôt avec crainte, selon qu'ils retraçaient la toute puissance de Dieu, ou ces scènes sanglantes trop communes, même entre frères, dans ces premiers temps de la monarchie. Il arrivait fréquemment que l'enfant lui-même éveillait les souvenirs de son aïeul ; car si la vieillesse répète, l'enfance questionne, et c'est là peut-être une des causes de cette sympathie qui rapproche les deux âges extrêmes de la vie.


Quoique Theudoald ne portât plus les armes, il n'avait pu cependant renoncer à s'en servir contre les hôtes des forêts. Il aimait à se faire accompagner, dans ses courses, par son petit fils qu'il aguerrissait ainsi et endurcissait s la fatigue. Au mois de juillet, dans une de ces expéditions dirigées contre un sanglier qui ravageait les dépendances de Chan, ils furent amenés aux environs de Coulmelle, et visitèrent le Gaulois qui exploitait cette colonie à l'aide de sa famille.

— Je viens, dit Theudoald au colon, de parcourir les terres que tu cultives, et partout j'ai remarqué des grains magnifiques.

— Il est vrai qu'ils sont fort beaux, répondit le Gaulois, et pourtant ils ne sont point à comparer à ceux d'un champ sis à quelques pas d'ici.

— Le terrain est donc meilleur là que partout ailleurs ?

— Je l'ignore ; mais ce qui est certain, c'est qu'avant l'année 623 rien ne venait dans cette terre, et j'y perdais si bien ma peine que je la laissai inculte. Elle se couvrit rapidement de ronces, d'épines et d'églantiers. Mais, peu après l'exécution du roi de Bourgogne, qui eut lieu dans ce champ, je fus tellement frappé d'un prodige qui s'y opéra, que je résolue de le défricher de nouveau.

— Un prodige ! dit Ingelger ; oh ! raconte-le moi.

Le colon reprit : Trois jours après que Clodomir eut quitté la Colemne et levé son camp, j'allais visiter l'endroit où le roi de Bourgogne avait été mis à mort. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque j'aperçue de loin, comme un nuage rose qui couronnait les broussailles, J'approchai avec crainte, et je reconnus bientôt que la fleur de l'églantier, de blanche qu'elle était, avait prie une teinte rosée. Quelques gouttes du sang de Sigismond et de ses enfants avaient jailli sur ces fleurs et les avaient rougies.

— Est-ce que ces églantiers, observa Ingelger, ont continué depuis à produira des fleurs roses ?

— Oui vraiment, dit le Gaulois.

— Il faut aller les voir, reprit Ingelger.

— Je le veux bien, répondit Theudoald.


Ils prirent congé du colon et suivirent un sentier qui serpentait à travers les bois et des clairières buissonneuses, au milieu desquelles apparaissaient ça et là quelques champs cultivés. Le vieux Franc allait le dernier, car la fatigue et la chaleur du jour ralentissaient sa marche, tandis que Ingelger que la curiosité aiguillonnait, avait pris les devants.


— Père, s'écria tout à coup l'enfant, voici les roses de Sigismond, et tout joyeux, il courut vers les églantiers.

Le Franc, ayant vérifié le fait raconté par le colon, ne put s'empécher d'admirer la toute puissance de Dieu ; mais son admiration redoubla, lorsqu'il eut remarqué les moissons dorées qui couvraient les parties cultivées du champ.

— Ceci est vraiment extraordinaire, dit-il, et il n'appartient qu'à Dieu d'enlever à la terre sa stérilité pour la rendre féconde. Lui seul peut aussi colorer la blanche parure de l'églantier.


Cependant Ingelger avait cueilli quelques branches chargées de roses. J'emporte ces fleurs, dit-il, en mémoire du champ rosé.

— C'est bien, en effet, ton véritable nom, reprit Theudoald, et nous ne l'appellerons plus autrement.


Les deux Francs hâtèrent leur marche, car le soleil avait éclairé la cime des arbres de ses derniers rayons. Tout à coup, ils aperçurent devant eux trois flammes légères qui dansaient au-dessus d'un puits abandonné, creusé au bord du chemin.


— Père, dit l'enfant, regarde, qui a mis là ces trois feux ? Plus nous nous approchons et plus ils s'agitent.


Theudoald ne répondit pas ; mais se découvrant avec respect et se mettant à genoux, il fit une longue prière qu'il termina en répétant trois fois : Bienheureux Sigismond, martyr, priez pour nous ! L'enfant, saisi d'une crainte vague, imita son aïeul ; puis, tous deux se relevant, continuèrent a marcher en silence. Bientôt ils arrivèrent à Chan.


— Père, reprit alors l'enfant plus rassuré, quel était donc ce Sigismond dont le colon nous a parlé et que tu u invoqué toi-même ? Qu'est-ce que ces lumières dansantes ?

— Tu me demandes-là une histoire bien longue ; aussi ne te la dirai-je que lorsque nous aurons apaisé la faim que notre expédition nous a donnée. A peine le repas était-il achevé qu'Ingelger redemanda son histoire, et Theudoald lui répondit :

— Tu sais, n'est-ce pas, qu'un des fils de Clovis, nommé Clodomir, régnait encore à Orléans, il y a trois ans ?

— Oui, dit l'entant, et je me souviens aussi de t'avoir entendu dire que ce Clodomir était un vaillant guerrier, comme le sont tous les Francs ; mais qu'il avait trop d'ambition. Il n'aimait point les Bourguignons parce qu'un de leurs rois, dont je ne sais plus le nom, avait massacré les parents de la reine Clotilde.

— Ce roi meurtrier, reprit Theudoald, se nommait Gondebaud. En mourant, il laissa son royaume à son fils Sigismond. Ce prince épousa d'abord Ostrogothe. fille du roi d'Italie, et en eut deux enfants nommés Sigeric et Suavegothe; puis cette princesse étant décédée, il prit une autre femme d'une condition peu relevée. La nouvelle reine n'aimait ni Sigeric, ni sa soeur, et ses enfants haissaient leur belle-mère. Ils ne laissaient échapper aucune occasion d'exprimer leurs ressentiments. Un jour de cérémonie publique, la reine, jalouse de montrer sa magnificence, s'était couverte de joyaux et de vêtements de prix. Les courtisans s'extasiaient sur sa beauté ; Sigeric seul garda le silence.


— Et vous, lui dit sa belle-mère, comment me trouvez-vous ainsi ?

— « top belle, car tu n'étais pas digne.de te couvrir le dos de ces vêtements qui ont appartenu à ma mère, ta maîtresse ».


Ces paroles animèrent la reine d'une ardeur de vengeance que la mort seule de l'imprudent devait apaiser. Elle se rend auprès du roi.

— Ton fils vient encore de me couvrir de honte, lui dit-elle, et son insolence devient extrême ; on dirait dejà qu'il est roi.

— Songerait-il donc à me détrôner ?

— Ne serait-ce pas une belle monarchie que celle de l'Italie unie au royaume de Bourgogne ? C'est le rêve de Sigeric, et comme il ne peut le réaliser que par ta mort, il travaille à te précipiter du trône pour s'y asseoir à son tour.


Sigismond est d'abord effrayé de ces paroles ; mais la tendresse du père l'emporte bientôt sur l'égoïsme dit roi. Afin d'apaiser le ressentiment de la reine et de pourvoir à sa propre sûreté, il promet d'envoyer son fils en exil. La reine, sentant que la violence ne lui fera point atteindre son but, a recours à la ruse. Elle corrompt les agents du roi, et ceux-ci apprennent successivement à Sigismond que Sigeric a gagné les principaux seigneurs du royaume; que le nombre de ses partisans grossit tous les jours, que le roi d'Italie dirige à petit bruit son armée vers la frontière de Bourgogne ; prêt à la franchir au moment opportun ; qu'un nouveau conciliabule a eu lieu entre les conspirateurs ; que le jour de la révolte est fixé ; que les conjurés ont résolu de revêtir le roi d'un froc et de l'enfermer dans un couvent ; enfin que Sigeric même les a déterminés à assassiner son père. Sigismond ainsi circonvenu, et surexcité par ces rapports mensongers, est jeté dans une perplexité d'esprit indicible. Il hésite encore ; mais le reine tout en larmes, et les vêtements en désordre, vient se précipiter dans ses bras.


— Sigismond, lui dit-elle, les conjurés sont à la porte du palais, Sigeric va se mettre à leur tête. Attendras-tu que ce fils dénaturé vienne t'ôter la vie et égorger ta femme et tes enfants. Préviens-le et sauve-nous.


La reine semblait agitée du plus grand désespoir; Ies enfants, embrassant les genoux de leur père, répétaient on pleurant :


— Sauve-nous, sauve-nous! C'en était trop pour cet homme faible.

— Qu'il meure I dit-il. Aussitôt, comme la louve affamée bondit pour saisir sa proie, la reine s'élance afin de transmettre l'ordre parricide. A ce moment Sigeric dormait, après le repas du milieu du jour. Deux esclaves ramenèrent sous son menton l'oreiller sur lequel sa tête reposait, et chacun tirant violemment à lui l'une des extrémités, ils étouffèrent le jeune prince.


Cependant le roi accourt pour sauver son fils ; mais la haine de la marâtre avait été plus active que l'amour paternel. Sigismond ne trouve plus qu'un cadavre. Saisi d'un violent désespoir, il se jette sur ce corps inanimé, l'embrasse, le baigne de ses larmes, et, dans sa douleur, remplit le palais de ses cris. C'est alors qu'un vieux serviteur lui dit :


— C'est sur toi-même que tu dois pleurer, toi qui, cédant à d'infâmes conseils, as eu la cruauté de commettre ce parricide. L'innocent que tu as fait étrangler n'a pas besoin de tes larmes.


Sigismond tombe dans une sombre mélancolie, et, retiré au fond de son palais, il se cache à tous les yeux. Enfin, il quitte secrètement la cour et va s'enfermer dans le monastère d'Agaune, qu'il avait restauré et enrichi. Là, il se livre aux exercices d'une austère pénitence, implorant jour et nuit la miséricorde divine. Ses remords et ses larmes parvinrent à fléchir la colère céleste ; mais Dieu ne permit point qu'il en fût ainsi de la colère des hommes. Les grands du royaume, moins touchés du repentir de Sigismond que frappés d'horreur de son parricide, résolurent de le détrôner.


— Ce récit est-il croyable ? s'écria le jeune Ingelger ; il ne peut y avoir de père qui tue son fils !

— Cette histoire n'est pourtant que trop vraie, mon cher enfant; mais par bonheur ces crimes sont rares.

— Ah ! qu'il me tarde de voir punir ce mauvais père, et surtout cette méchante reine.

— Le châtiment ne se fit pas attendre. Tandis que les événements que je t'ai racontés se passaient en Bourgogne, notre grande reine Clotilde, toujours irritée contre la maison de Gondebaud, résolut de saisir cette occasion de venger le meurtre de ses parents. Elle réunit donc ses enfants et leur dit :

— Faites en sorte, mes très chers fils, que je n'aie point à me repentir de la tendresse avec laquelle je vous ai a élevés; ressentez avec indignation l'injure que j'ai reçue. et vengez avec constance la mort de mon père et de ma mère.


Animés par ces paroles, et poussés, en outre, par l'ambition, les fils de Clovis prennent les armes et marchent vers la Bourgogne. Sigismond est informé, au fond de son cloître, des événements qui le menacent ; mais, tout à sa douleur, que lui importe le soin de ses états! L'abbé d'Agaune intervient alors et lui ordonne de quitter le monastère, de se mettre à la tête de son armée et de protéger contre les Francs le royaume que Dieu lui a confié. Sigismond obéit. Il détache d'abord de la ligue Thierry, l'ainé des enfants de Clovis, en lui donnant sa fille Suavegothe en mariage ; puis il revient précipitamment à Lyon, organise son armée et marche, avec son frère Godomar à la rencontre des ennemis. Le combat fut court. Sigismond et Godomar vaincus sont obligés de prendre la fuite. Alors les seigneurs bourgui-gnons, irrités contre leur roi, le saisissent, ainsi que sa femme et ses enfants, et les conduisent à Clodomir.


— Roi d'Orléans, lui dirent-ils, nous te livrons ton ennemi, les Bourguignons ne veulent plus de ce parricide pour leur roi, et en signe de leur abandon, ils l'ont revêtu d'une robe de moine. Clodomir emmena Sigismond à Orléans, où il le retint prisonnier pendant un an dans une citadelle.


Cependant Godomar rassemble les débris de son armée et se fait proclamer roi. Clodomir, en apprenant cette nouvelle, se prépare à retourner en Bourgogne ; mais que fera-t-il de son prisonnier, pendant cette expédition ?... Il le fera mourir.

Informé de cette résolution, Avy, qui était alors abbé de Micy, se rend auprès du roi, dont le camp était établi à la Colomne, et lui adresse ces paroles :


— Si tu surmontes ton ressentiment, et si, en vue de Dieu, tu ne fait pas mourir Sigismond, tu vaincras et tu réussiras dans tes desseins ; mais si tu le fais mourir, tu tomberas toi-même entre les mains de tes ennemis, qui exerceront sur toi, sur ta femme et sur tes enfants, les mêmes violences que tu auras ,exercées sur Sigismond et les siens.

— Je serais un insensé, répondit le roi, si Je laissais un ennemi dans mes états, tandis que j'entrerais dans ceux d'un autre. Je m'exposerais ainsi à avoir deux adversaires à combattre à la fois : l'un pourrait me surprendre par derrière, taudis que l'autre m'attaquerait par devant. Il est plus aisé de se défaire de deux ennemis, en les séparant, et je vaincrais plus facilement le second, quand le premier sera mort.


Avy insiste, mais il ne put fléchir Clodomir, et j'applaudis alors, mon cher enfant, ainsi que tous les autres hommes forts, à la prudente résolution du roi. Combien n'en ai-je pas été puni ! Clodomir donna l'ordre d'amener Sigismond et sa famille en sa présence, et, après avoir reproché au Bourguignon le meurtre de Sigeric, il le fit mettre à mort, ainsi que sa femme et ses deux fils.


— Qu'on les jette dans un puits, dit-il en s'éloignant. Aussitôt quelques soldats désœuvrés et cruels s'emparèrent des cadavres, les traînèrent par tout le camp, et fatigués enfin, les précipitèrent dans le puits que nous avons trouvé, ce soir, sur notre route.


— Sigismond et sa femme avaient bien mérité leur sort, observa Ingelger, mais leurs pauvres petits enfants, qu'avaient-ils faits ?

— C'était, en effet, reprit Theudoald, une cruauté inutile. Aussi Dieu ne tarda-t-il pas à venger leur Mort. Peu après Clodomir en étant venu aux mains avec Godomar, fut attiré par ruse loin de ses troupes, et tué par les Bourguignons. Los quelques guerriers qui l'accompagnaient, et parmi lesquels était ton père, partagèrent le triste sort de leur roi. Ce souvenir émut le vieillard.

— Ton père, continua-t-il d'une voix altérée, était généreux et brave. Souvent, en le considérant, je disais : Mon fils sera le soutien et l'orgueil de ma vieillesse ; il deviendra renommé par sa valeur et prendra rang parmi les hommes forts... Et moi, reprit Theudoald avec abattement, moi qui comptais sur lui pour voir ma vieillesse entourée d'une auréole de gloire, me voilà seul, parvenu au bout de ma carrière et ne laissant derrière moi qu'un enfant.

— Père, ne pleure pas, dit Ingelger, en embrassant son aïeul, je grandirai bien vite, Je serai brave, et tu pourras sourire encore à mes premiers exploits.

— C'est ce que je demande tous les jours au ciel, et j'espère qu'il m'exaucera. Mais n'oublie pas, mon cher enfant, que Dieu punit tôt ou tard le crime : la fin tragique de Clodomir et celle de Sigismond en fournissent des preuves éclatantes.

— Tu ne m'as pas dit, reprit Ingelger, ce que signifiaient les trois lumières.

— Quelque temps après la mort du roi de Bourgogne, ces feux commencèrent à paraître. On ne douta plus alors que Dieu n'eût pardonné à Sigismond le meurtre de son fils et ne l'eut admis au nombre de ses saints martyrs, puisque son âme et celles de ses enfante se montraient sous la forme de ces flammes légères, au-dessus du puits où gisaient leurs corps.

— Cependant, objecta l'enfant. j'ai passé souvent par là, et je n'ai jamais rien vu.

— Cela est possible, parce qu'en effet, ces flammes sont invisibles durant le jour ; elles n'apparaissent que pendant la nuit, et de loin en loin, â la suite d'une chaleur excessive, comme celle qui nous a accable aujourd'hui.

Après ce récit, il était tard. Ingelger se mit au lit. Mais, soit que la chaleur de la veille eût allumé son sang, soit que le meurtre de Sigismond eût produit sur son imagination une impression trop vive, il s'éveilla, le matin, avec une fièvre ardente. Le lendemain la fièvre s'apaisa ; mais elle revint plus violente le troisième jour, et la maladie progressa ainsi pendant un mois. Theudoald avait épuisé tous les moyens de guérison usités alors, et néanmoins le mal persistait, et l'enfant, épuisé, dépérissait sensiblement. Enfin il se détermine à aller prier sur le tombeau de saint Aignan. Il s'arme done, et plaçant le malade dans une litière, il part pour Orléans, accompagné de ses serviteurs. Cependant la fièvre tourmentait l'enfant, et le cortège n'avait pas fait une demi-lieue, que Ingelger demandait à boire. Avant de se mettre en marche, on avait songé aux besoins du malade, mais ils n'avaient pas tous été prévus. L'eau manqua. Une mère n'en eût point oublié.


— soif, répétait l'enfant, et Theudoald de gourmander ses esclaves et lui-même de leur imprévoyance.

— Maitre, dit un des serviteurs, voici le puits du roi de Bourgogne, veux-tu qu'on y prenne de l'eau ?

— Oui, qu'on me donne une corde. La corde est apportée ; Theudoald y attache son casque, le laisse glisser, et le retire plein d'une eau claire et rosée, qu'il présente à Ingelger. L'enfant boit. La fraicheur de l'eau éteint l'ardeur du mal, la douleur de tête se dissipe ; Ingelger se sent guéri. Theudoald est d'abord étonné ; mais attribuant bientôt la guérison de son petit-fils à la vertu de l'eau, il tombe à genoux, rend grace à Dieu et fait vœu d'élever une église sur le lieu même, en l'honneur de saint Sigismond. Ce miracle eut un grand retentissement, et la nouvelle en parvint bientôt au monastère d'Agaune. Les moines prennent la résolution d'aller chercher les restes de leur fondateur et de les placer dans leur église. Ils partent donc ; et après avoir bravé les mille dangers qu'ils rencontrent sur une aussi longue route, ils arrivent enfin à Chan, où ils demandent l'hospitalité. Theudoald la leur accorde avec empressement. Les moines expliquent au vieux Franc le sujet de leur voyage.


— Je ne consentirai jamais, leur répond Theudoald, à çe que vous enleviez ces corps, parce que mon petits-fils a été guéri par leur vertu.

— Le roi, objectent les moines, nous a autorisés à les emporter et à leur élever un tombeau dans notre monastère.

— Et moi, j'al fait vœu de bâtir une église, sur le lieu où ils reposent.

— Nous ne pouvons pas cependant retourner à Agaune, sans le corps de Sigismond.

— Ni moi construire une église sans reliques.

— Eh bien, que l'enfant juge lui-même notre différend.

— Soit, répond Theudoald.

— Je pense, dit Ingelger, que puisque Dieu, pour proclamer la gloire de son serviteur, a fertilisé le champ stérile, changé la couleur des fleurs de l'églantier, permis aux âmes d'apparaitre sous l'apparence de flammes, et chassé les fièvres qui me tourmentaient, il peut également faire un nouveau prodige, afin de manifester sa volonté.

— Oui, disent en même temps les moines et Theudoald.

— Eh bien, reprend Ingelger, si depuis trois ans que les corps sont dans le puits, ils n'ont souffert aucune altération, Dieu aura prononcé en faveur du monastère d'Agaune. Les moines se prosternent pendant quelques instants, et se relevant ensuite :

— Nous agréons, disent-ils, la proposition de l'enfant.


Theudoald, tout joyeux, s'empresse de l'agréer aussi. Ils se rendent donc auprès du puits. Un des moines insiste pour y descendre lui-même ; et quelques instants sont à peine écoulés, qu'il reparaît chargé du cadavre de Sigismond. Ceux des deux enfants sont également extraits. Ces trois corps étaient parfaitement conservés. Quant à celui de la reine, il était entièrement décomposé. A cette vue, Theudoald dit aux moines d'Agaune : Puisque Dieu s'est prononcé en votre faveur, emportez ces saintes reliques ; mais lorsque vous les invoquerez, souvenez -vous du vieux Franc et de son petit-fils. Et consterné, il reprit le chemin de Chan. Ingelger voyant son aïeul ainsi attristé, lui dit : Les moines emportent les corps, mais ils ne peuvent emporter l'eau, et c'est elle qui m'a guéri.

— Tu penses donc que l'eau seule conservera sa vertu ?

— Certainement, car elle s'est enrichie du sang des martyrs. N'as-tu pas remarqué sa couleur rouge ?

— Dieu veuille te donner raison. L'enfant ne s'était pas trompé, les pèlerinages au puits continuèrent, et les guérisons devinrent de jour en jour plus nombreuses. Theudoald résolut donc de s'acquitter de son vœu. Deux ans se sont écoulés, et voici que, par une belle matinée du mois de mai, le son de l'airain trouble subitement le calme de tous. A ce signal, un cortège nombreux sort de Chan et s'avance lentement à la suite d'un vieillard. Theudoald, car c'est lui, marche péniblement et s'appuie sur l'épaule d'Ingelger. Ils se dirigent vers le puits de Saint-Sigismond. A mesure que les sons de la cloche deviennent plus distincte le vieillard sent croître son impatience. Enfin, à un détour du chemin, l'horizon, borné par les bois, s'élargit, et, au milieu d'une vaste clairière, appareil une chapelle d'une construction simple et élégante. A cette vue, Theudoald redouble d'ardeur et atteint enfin le seuil de ce temple, qu'ont élevé la foi et la reconnaissance. ll s'avance, pieux et recueilli, jusqu'à l'autel, construit au-dessus même du puits, et après y avoir prié, il lève les mains au ciel, et s'écrie comme un autre Siméon :

-- Maintenant, Seigneur, rappelez à vous votre serviteur. Dieu entendit sa voix ; car, dans la nuit suivante, le vieux Franc s'endormit doucement, pour ne plus s'éveiller.



Ingelger continua l'oeuvre de son aïeul. Au lieu des cabanes qui, jusqu'alors, avaient abrité les pèlerins venus des localités voisines, il construisit quelques maisons. Plus tard, il en fit élever d'autres ; car la renommée du saint avait tellement grandi, que les fidèles arrivaient par troupes nombreuses. Bientôt un village entier entoura l'église. Il fallut alors donner un rom à ce nouveau bourg. On l'appela d'abord Puits de Saint-Sigismond, et ensuite Saint-Sigismond. La moyen âge arriva, et avec lui parurent les seigneurs féodaux. L'un d'entre eux construisit une maison-fort ou chateau, dans le village même dont il se fit le maitre et le protecteur. Dès lors, le bourg fut nommé Saint-Sigismond et Saint-Simon.


Dans le 15e siècle, cette localité avait acquis de l'importance, et sur son territoire s'étaient élevés plusieurs fermes et petits fiefs, tels que l'Ardillère, Frécul, Porcheresse, la Haie, Villarson, la Vallée, la Boue, la Hallerie, le Puits-de-la-Bonne-Eau. Ce fut alors queLoys de Saint-Simon, conseiller et chambellan de Louis XII, sollicita et obtint du roi, la création de deux foires par an et d'un marché par semaine, en faveur du lieu de sainct Simon qui est, disent les lettres-patentes, ung beau lieu et villaige assis en bon pays et fertil. Ce bourg a repris actuellement le nom de Saint-Sigismond.


Saint Sigismond

Depuis le 6e siècle jusqu'à nos jours, le puits de Saint-Sigismond n'a cessé de guérir les fièvres. Ainsi que noue l'avons dit, il était placé sous le maître-autel dont on soulevait le tablier lorsqu'on voulait puiser de l'eau, au moyen d'une corde qui, frottant sur la margelle, a laissé dans la pierre des traces profondes. L'église a été ruinée et reconstruite plusieurs fois. En dernier lieu, les calvinistes la démoliront presque en entier, et depuis lors, le puits ne fit plus partie de l'église. Il demeura enclos par les ruines dans lesquelles on entrait par une porte spacieuse, ouvrant au midi sur le cimetière. Ces ruines furent vendues en 1791, et servirent à édifier quelques maisons. On voit encore à la porte de l'une d'elles, occupée par un maçon, des fragments de colonnes et de chapiteaux. Le puits était entouré de fleurs et de buis que le sonneur cultivait. Les aumônes des pèlerins le dédommageaient de sa peine.


Chaque année, le 12 mai, fête de Saint-Sigismond, la procession sortait de l'église par la porte principale, traversait la cour du prieuré, et entrant dans les ruines par une porte percée au nord, faisait une station au lieu vénéré. Tous les pèlerins et gens du pays suivaient le clergé, et en passant devant le puits, les femmes y jetaient une épingle, afin de se préserver des fièvres. M. Riche, curé de Saint-Sigismond, s'éleva plusieurs fois avec force contre cette pratique superstitieuse ; mais ses paroles n'étant pas écoutées, il obtint, en 1775, de Monseigneur de Jarente, la défense de faire la station accoutumée le 12 mai et les trois dimanches précédents, on lut cette proclamation en chaire. Cependant, le jour de la fête, André Hurault et Léonard Legras, tous deux marguilliers, l'un portant la bannière et l'autre la croix, sortent de l'église, malgré l'opposition du clergé, composé des curée de Saint-Sigismond, de Saint-Péravy-la-Colombe, de Tournoisis, de Nids, de Coulmiers, de Rosière et de Gémigny. La foule suit les marguilliers et fait la station, tandis que le clergé reste dans l'église. M. Riche informe l'évêque de la révolte de ses paroissiens, et le soir même, les deux marguilliers vont arrachés de leurs lits et conduits A Orléans. Ils furent mis en liberté le lendemain. M. de Jarente et l'intendant de la province ordonnèrent de combler le puits, mais il ne put l'être entièrement. Maintenant il ne donne plus d'eau, et pourtant on y vient encore en pèlerinage. Le malade se rend d'abord à l'église, entend la messe ou demande un évangile, va s'agenouiller ensuite auprès du puits et y fait sa prière. S'il ne guérit pas, au moins emporte-t-il avec lui l'espérance, ce trésor presque inépuisable de ceux qui souffrent.

Nous ajouterons, enfin, que, dans le courant de l'année 1840, un des chanoines de Saint-Maurice, M. Chervez, protonotaire apostolique, vint a Saint-Sigismond, afin de visiter le lieu où le corps du roi de Bourgogne avait longtemps séjour né. Il détacha des parois une petite pierre et la place respectueusement dans une boite qu'il emporta. En voyant la mousse ronger la pierre, les herbes et les rejetons des arbres voisins envahir et cacher ce puits que couvraient deux planches vermoulues :

— Oh! s'il était à Saint-Maurice, dit-il à M l'abbé Lepage qui l'accompagnait, comme il serait vénéré ! comme il changerait de face !


Ce vœu a été réalisé de nos jours [1892]. En 1876, une nouvelle église, renfermant le puits de saint Sigismond, a été construite par les soins de M. l'abbé Marçais, curé.. S. G. Mgr Coullié, coadjuteur d'Orléans, avait la consolation de la consacrer le 17 mai 1877. Sur la plaque de métal qui recouvra le Puits vénéré, dont l'ouverture est à fleur du sol, on lit l'inscription suivante :

+

PUITS OU SAINT

SIGISMOND

ROI DE BOURGOGNE FUT

PRECIPITE EN L'AN DE

GRACE DXXIV PAR ORDRE

DE CLODOMIR

ROI D'ORLEANS

+

 

Séance du vendredi 10 décembre 1869.

Présidence de M. BOUCHER DE MOLANDON, Président.

M. le Président donne communication d'une lettre de M. le curé de Saint-Sigismond demandant l'appui de la Société auprès de l'autorité, pour la reconstruction de son église. Conformément au voeu de M. le curé, M. le Président propose la délibération suivante, que la Société approuve et ratifie, en autorisant M. le curé et M. le maire de la commune à en faire tel usage qu'ils croiront utile à leurs louables intentions :


Extrait du registre des délibérations de la Société archéologique de l'Orléanais.

(Séance du 10 décembre 1869.)


« La Société archéologique de l'Orléanais : Informée que la commune de Saint-Sigismond (Loiret) a conçu la louable pensée de sauvegarder le précieux monument religieux et historique auquel elle doit son nom, en l'enfermant dans l'enceinte d'une nouvelle église ; Qu'elle s'est imposée, dans ce but, des sacrifices véritablement au-dessus de ses forces ; Que ce dévouement resterait toutefois sans effet si le gouvernement, dont elle sollicite le bienveillant appui, ne consentait à lui venir en aide pour suppléer à l'insuffisance de ses ressources ; Après en avoir délibéré, joint des instances à celles adressées par les habitants de la commune à Leurs Excellences MM. les Ministres des cultes, de la maison de l'Empereur et des beaux-arts.

Le puits de Saint-Sigismond est, en effet, dans nos contrées, l'un des rares monuments de l'époque mérovingienne. Son authenticité est incontestable : Des bulles de Léon VI et de Benoist VII, Des chartes de Hugues-Capet, de Robert et de Charles-le-Chauve, le témoignage de Grégoire de Tours et d'autres annalistes contemporains, une tradition constante appuyée sur d'antiques prescriptions liturgiques, et continuée sans interruption du VIe siècle jusqu'à nos jours,

Constatent qu'en l'an 524, par l'ordre de Clodomir, fils de Clovis, furent jetés dans ce puits le corps de Sigismond, roi de Bourgogne, restaurateur du monastère de Saint-Maurice en Valais, ceux de sa femme et de ses deux fils. Peu de temps après, Sigismond était mis au rang des martyrs, et sur ce puits, objet d'une grande vénération, s'élevait une simple chapelle. Au XIIIe siècle, la chapelle agrandie devint une église. Démolie en partie, dans des temps de guerre et de désordre, l'église ne recouvre plus aujourd'hui le puits mérovingien ; cet antique monument reste à découvert, au milieu des ruines, insuffisamment protégé, par ses souvenirs religieux et historiques, contre des dégradations et des profanations inévitables.

En sollicitant pour cette pauvre commune le généreux appui du gouvernement, la Société archéologique émet le voeu :

Que le style architectonique du futur édifice soit en harmonie avec ces antiques souvenirs ; qu'une inscription commémorative y consacre, à toujours, les faits acceptés par la critique historique.


La présente délibération sera inscrite au procès-verbal des séances de la Société, et expédition en sera remise à M. le maire et à M. le curé de Saint-Sigismond, pour en être fait par eux tel usage qu'ils apprécieront.


Ainsi délibéré en séance, à laquelle assistaient MM. Boucher de Molandon, l'abbé Desnoyers, Basseville, Laurand, imembres du bureau, et MM. Baguenault de Viéville, Bimbenet, Buchet, Chouppe, Cosson, Delaune, Louis Jarry, Loiseleur, Mantellier, Mauge du Bois des Entes, Maupré, de Torquat, Tranchau.

A Orléans, le 10 décembre 1869.

 

Dans le numéro 19 du 12 mai 1877 des Annales Religieuses et Littéraires du diocèse d'Orléans, nous trouvons mention de la consécration de la nouvelle église de Saint Sigismond :

Saint Sigismond, cousin germain de sainte Clotilde, régna sur les Bourguignons vers l'an 520. Après la mort de sa première femme qui lui laissa un fils nommé Rigérie, il en avait épousé une autre d'une moins noble condition. Rigerie ayant un jour froissé la nouvelle reine, cette vindicative marâtre persuada Sigismond que son fils voulait lui enlever la couronne et la vie. Le jeune prince fut condamné mourir ; à peine avait-il rendu le dernier soupir que son innocence fut reconnue. Accablé de douleur et de remords, le malheureux père se retira pendant quelque temps au monastère d'Agaune, en Suisse, aujourd'hui Saint-Maurice-en-Valais, pour s'y livrer à une austère Pénitence : Seigneur, châtiment en cette vie, s'écriait le nouveau David, mais pardon en l'autre.

Ses prières furent exaucées ; les fils de Clovis lui déclarèrent la guerre et le firent prisonnier. Clodomir, roi d'Orléans, après l'avoir gardé quelque temps dus sa capitale, le conduisit son camp et le fit égorger sous ses yeux, malgré les représentations de saint Avit, abbé de Micy-saint-Mesmin. Ce meurtre eut lieu sur le territoire d'un bourg appelé aujourd'hui Saint-Peravy-la-Colombe. La tradition rapporte que le sang du roi jaillit sur des églantiers blancs et leur donna une teinte rosée ; ce climat parte encore de nos jours le nom de Champ-Rosé. Le village de Rosière, situé à une lieu de là, doit peut être également son om au souvenir de cette circonstance miraculeuse.

Quoi qu'il en soit, les soldats francs jetèrent le corps de Sigismond dans une citerne voisine. De nombreux miracles qui s'y opérèrent vinrent manifester que le roi pénitent avait obtenu le pardon de son crime.

Trois ans après, le corps de Saint Sigismond ayant été réclamé par les religieux du monastère d'Agaune, fut retiré de la citerne, il était encore parfaitement conservé. On bâtit une église au-dessus de ce puits et bientôt un village entier entoura cette église : c'est le village de Saint-Sigismond, à cinq lieues d'Orléans.

L'église paroissiale, ruinée et reconstruite plusieurs fois, avait été en dernier lieu presque complètement démolie pendant les troubles de la seconde moitié du 16e siècle, et depuis lors, l'enceinte sacrée n'abritait plus le puits dont l'eau couleur rose rendait la santé aux personnes atteintes de fièvre ; la religieuse population de Saint Sigismond a tenu à cœur de faire enfin cesser la désolation qui était dans un lieu saint depuis plus de trois siècles ; elles vient au prix d'héroïques sacrifices, de construire une nouvelle église qui renferme le puits miraculeux.

La consécration de l'église de Saint Sigismond sera faite par Mgr le Coadjuteur, le jeudi 17 mai 1877. La cérémonie commencera à 8h.

Ce sera la troisième consécration d'église que verra le diocèse depuis le commencement de ce siècle.

A***

 

Sigismond (roi martyr, +524) (source https://nominis.cef.fr/)


Fils du roi de Bourgogne, il épousa la fille du roi d'Italie Ostrogothe. Attaché à l'arianisme par sa famille, il se convertit à la vraie foi grâce à saint Avit, l'évêque de Vienne en Gaule. Il s'employa alors à expurger l'hérésie de son royaume et il fit construire la célèbre abbaye d'Agaune, Saint Maurice dans le Valais suisse.

Sa vie ne fut pas exempte de crimes, en particulier lorsqu'il fit étrangler Sigéric, le fils d'Ostrogothe pour plaire à sa seconde femme qui voulait que ce soit l'un de ses enfants qui monte sur le trône. Il s'en repentit et fit pénitence en se retirant au monastère d'Agaune.

Mais lorsque les fils de Clovis envahirent la Bourgogne, il dut fuir pour chercher un refuge où se cacher. Il fut rattrapé par les soldats de Clodomir qui le jetèrent dans un puits avec sa femme et ses enfants. Depuis, il est considéré comme un martyr.



Allez plus loin avec ce blog d'iconographie chrétienne : Saint Sigismond de Burgondie


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