Les statues de Jeanne à Orléans
La statue de Gois
Outre la suppression de la fête annuelle du 8 mai, l'absence d'un souvenir visible de Jeanne d'Arc pesait aux Orléanais. Au sortir de la tourmente révolutionnaire, la municipalité le comprit ; et peut-être pour préparer le rétablissement de la fête, elle conçut le dessin de réédifier, sur la principale place publique de la ville, un nouveau monument avec la représentation de la Pucelle.
Pour réaliser ce projet, au commencement de décembre 1802, elle s'adressait au a citoyen Gois, statuaire du musée des arts de Paris « parce que cet artiste, grand prix de Rome (1791), était déjà l'auteur d'une statue de Jeanne d'Arc ». Or, voici comment Gois fils avait été amené à modeler la Pucelle d'Orléans.
Lenoir, directeur du Musée des monuments français, qu'il avait formé avec les épaves révolutionnaires, regrettait de n'avoir de Jeanne d'Arc qu'un « buste en terre cuite, qui était jadis gardé comme relique à l'hôtel de ville d'Orléans ».
Comme il désirait orner sa collection d'une statue en pied de l'héroïne, il avait demandé, vers 1800, à Gois fils de s'en charger. Celui-ci avait accepté cette proposition avec empressement, un peu témérairement. Sans doute, il avait assez de talent pour faire une belle statue classique ; mais lui manquait le savoir historique pour comprendre comment il convenait de représenter la pieuse Libératrice d'Orléans.
En effet, sous l'influence de l'enthousiasme belliqueux, qui, alors, agitait les cœurs français, l'artiste, qui avait été quelque peu jacobin, ne pouvait voir et ne vit en Jeanne d'Arc que la guerrière. N'apercevant, en elle, qu'une amazone, il en fit une Clélie.
Il lui donna donc un costume semi militaire, semi-féminin. Sur le premier point, il utilisa, peut-être, le buste de terre cuite et le portrait sur toile, provenant d'Orléans. Pour le second, il imaginait de faire suivre la cuirasse, non pas de la « hugue» du temps, mais d'une robe directoire. Cette innovation, qu'il a pu emprunter à un portrait en pied de Jeanne d'Arc, par Simon Vouet, devait lui causer bien des soucis.
Quoi qu'il en ait été à moitié satisfait, en 1802, il envoyait, modelée en plâtre, à l'exposition du Salon, sa statue.
Remarquée et louée hautement par le Premier Consul qui, à cette époque, n'avait aucune tendresse pour l'Angleterre, toujours à ses yeux « l'ennemie héréditaire », cette statue motivait et justifiait le choix, que faisait de son auteur le Conseil municipal d'Orléans pour lui confier la « réédification du monument de la Pucelle ». Acceptant l'honneur et la charge, Gois, vers la fin de décembre 1802, vint à Orléans, pour soumettre son projet à une commission spéciale de douze membres, « prise dans les artistes et gens de l'art et amateurs distingués d'Orléans».
A l'unanimité, sur le simple dessin que leur communiqua l'artiste, les commissaires approuvèrent le modèle exposé au Salon, dont le type s'éloignait tant du type traditionnel, qu'ils avaient eu, avant 1793, sous les yeux. Il n'y a pas lieu de les en féliciter ; sans le savoir, ni le vouloir, ils avaient approuvé la laïcisation de la statue de Jeanne d'Arc. Leur rapport, rédigé en conséquence, fut soumis, le 24 décembre, au Conseil municipal, qui l'adopta.
En même temps, nos édiles arrêtaient que ladite statue serait en bronze et placée sur un socle de marbre blanc orné de bas-reliefs de bronze; que le monument s'élèverait sur le Martroi, « là où était le corps de garde ». Mais par amendement, il ajoutait qu'avant de « poser la statue à demeure », un modèle en plâtre serait placé sur un piédestal en bois de même proportion que celui en marbre, « pour éprouver l'effet que le monument pourrait produire » ; et « qu'alors l'on pourrait arrêter définitivement et avec connaissance le lieu qui serait plus avantageux pour le monument ». Il décidait, enfin, qu’une souscription nationale serait ouverte « pour fournir aux frais du monument ».
Mais, avant qu'elle en fût close, l'inauguration de la statue avait eu lieu, le 7 mai 1803, vers six heures du soir, sans trop de cérémonie, car il ne s'agissait que d'un modèle en plâtre, que devait remplacer, en 1804, un modèle en bronze.
Rentré à Paris, l'artiste se mettait à l'œuvre, pour retoucher la maquette de la statue primitive, en ce qui, dans la jupe de la robe, lui paraissait défectueux. Un jour que, soucieux et fatigué de ne pas trouver un des plis principaux, il avait quitté son atelier pour prendre l'air au jardin des Tuileries et chercher une inspiration, une dame passe devant lui sur le Pont-Royal, et jette un cri, ce disputant au vent la longue robe qui la couvrait. Ce mouvement attira les yeux de l'artiste. Ô bonheur ! Ce pli tant cherché se dessine. Gois vole vers l'élégante : « Arrêtez, madame ! De grâce, arrêtez ! Conservez, un instant, votre pose. » Ces mots dits, la dame interloquée s'arrête, l'artiste étudie le pli de sa robe, s'en pénètre ; et, saluant profondément son modèle d'occasion, il regagne en toute hâte son atelier, pour fixer, avec son ébauchoir, le fameux pli.
En gypse ou en métal, cette statue fut accueillie avec une faveur sans égale par nos pères, qui avaient pourtant le devoir d'être plus difficiles. Leurs descendants, mieux instruits, ne partagent plus leur admiration Deux amateurs nous en donnent la raison :
« La Pucelle, debout, dans une attitude pleine de mouvement et d'énergie, foule aux pieds l'écusson britannique (semé de léopards) ; de la main droite, elle tient une épée nue ; de la gauche, elle presse contre sa poitrine (cuirassée) un drapeau qu'elle semble vouloir défendre contre l'ennemi. Son regard est dur et foudroyant, ses traits masculins : prise isolément, c'est une belle figure (en une belliqueuse attitude); rapprochée de l'histoire, c'est une injure faite à son caractère... Le costume (qui, au dire de la commission, a était la reproduction exacte des monuments les plus authentiques), est celui d'une héroïne d'opéra ; sa tête est empanachée comme celle d'un cheval de manège. Sa cuirasse d'airain accuse, comme un maillot, tous les détails de ses formes et se prête à tous ses mouvements; sur ses hanches, s'arrangent les plis d'une longue robe flottante, qui doit la faire tomber à chaque pas, tandis qu'il est notoire que, dès qu'elles ont endossé l'armure, elle abdiqua, pour toujours, les vêtements de son sexe... »
Gois, dit à son tour R. Biémont, a personnifié une guerrière anonyme. Ici, c'est plutôt l'impétueuse Jeanne Hachette que la douce bergère de Domrémy. Cette allure d'amazone, cette robe flottante, cette tête si théâtralement empanachée, siéent mal à la naïve libératrice du gentil Dauphin. Que Gois donne tout autre nom à la guerrière et on admirera l'animation et la menace de la physionomie, la fougue de l'élan, la vigueur du talent. Du moment que nous lisons sur le socle « A Jeanne d'Arc », ces qualités réelles perdent leur valeur »
La commission, bien que composée d'artistes et d’architectes, qui célébraient le sentiment de le perspective, n'ont pas besoin d'attendre bien longtemps pour connaître l’effet produit par un petit monument perdu au milieu d’une grande place. Cet effet était déplorable, c’était à prévoir.
De haut, de bas, les critiques abondèrent. Le général Thiébault, qui commandait alors la subdivision militaire, les a résumées dans ses mémoires, où il a la plume dure comme son épée et cancanière comme une langue de concierge. Mais ici, il est l’écho des salons d’Orléans. « On a dû, écrit-il, reléguer, dans un enfoncement de la place du Martroi, pour éviter qu’elle ne fut dévorée par l’espace (si elle avait été maintenue) au milieu, la statue en bronze de Jeanne d’Arc, statue mesquine de proportion, absurde d’attitude, médiocre d’exécution. » (Vraiment « médiocre d’exécution » est de trop. Note de Cochard)
Devant cette avalanche de critiques, force fut bien au Conseil Municipal de reconnaître qu’il avait commis un impair, en plaçant en plein Martroi, un monument, qui n’avait pas plus de 6 mètres de hauteur, et qui avait transformé l’ancien corps de garde en une ample guérite, surmontée d’un personnage « qui rappelle plutôt Bonaparte au pont d’Arcole que la Pucelle aux Tourelles ».
Il décidait donc que le monument définitif (statue de bronze et socle de marbre blanc veiné, orné de quatre bas-reliefs) serait érigé, sur la petite place Saint Pierre, qui n’est qu’une annexe de la grande place du Martroi et au débouché de la rue de la Levrette.
Son intention étant de l’inaugurer sans sursis, le 8 mai 1804, il prenait de suite les mesures qu’exigeait la réalisation de ce projet.
Le modèle en plâtre, descendu de son piédestal de bois, fut d’abord relégué dans une cour de la mairie, puis transporté au musée, où il est loisible à chacun, de le comparer à celui de bronze, qui devait le remplacer. (Il est aujourd’hui au musée Jeanne d’Arc)
Cependant, l'artiste avait confié à un maitre fondeur parisien Jacques-Charles Rousseau, le soin de couler la statue, dont la fonte en bronze, fut elle-même tout un événement.
En effet, l' « Athénée des Arts », considérant que « pour meuler en sable », comme une cloche, « avec plusieurs châssis, une figure d'aussi grande proportion», il avait fallu « un ouvrier habile », décernait à Honoré Gonon, l'ouvrier, et à J.-Ch. Rousseau, patron fondeur, une médaille d'honneur.
En même temps, la commande du piédestal en marbre avait été octroyée à un marbrier d'Orléans, le sieur Scellier.
Le tout étant prêt et en place, il n'y avait plus qu'à inaugurer, à la date fixée, le nouveau monument.
Le mardi 8 mai 1804, à 8 heures du matin, le maire d'Orléans, M. Grignon-Désormeaux, accompagné de plusieurs conseillers municipaux, et escorté de la garde nationale avec sa musique, se rendit sur la petite place de Saint-Pierre, où se dressait, enveloppée d'une toile, l'œuvre définitive. Tout près, se trouvaient déjà Gois, l'artiste et Scellier, marbrier.
Sur l'ordre du maire, la statue fut découverte aux acclamations de la foule ; le cortège fit le tour du monument et rentra à l'hôtel de ville. Dans la procession, qui suivit, le cortège étant massé autour du monument, Mgr Dernier bénit solennellement la statue de Jeanne d'Arc. Cette bénédiction de l'évêque impressionna singulièrement la population. Le fait suivant, qui nous est rapporté par un historien Allemand de passage, alors, dans notre ville, le démontre bien. « Le jour suivant, de très bon matin, alors que tout le monde reposait sur la place, plusieurs amis de Gois s'y rendirent pour contempler son œuvre dans son ensemble, et ils virent des paysans s'agenouiller avec dévotion devant la statue, et prier la Pucelle, comme on prie une sainte ».
L'œuvre de Gois, par cette inauguration officielle, avait reçu le baptême de la gloire. Le même jour, l'évêque d'Orléans, conféra à la fille de l'artiste, dont l'art, jusqu'ici, avait été la principale religion, le baptême, qu'elle attendait depuis six ans. Voici l'acte de cette cérémonie intime, qui fut célébrée dans la chapelle de l'évêché : nous l'empruntons au registre paroissial de Sainte-Croix.
« Le 8 mai 1804 (18 floréal an XII), a été baptisée par nous, évêque d'Orléans, Jean-Aurélie-Joséphine-Madeleine, née le 8 ventôse an VI (23 février 1798), du légitime mariage d'Edme-Etienne-François Gois et de Madeleine Suchetet.
« Elle a eu pour parrain Antoine-Edouard Crignon-Désormeaux, maire d'Orléans, et pour marraine Marie-Thérèse-Joseph Champagne, épouse de Philibert Maret, préfet du département du Loiret, soussigné — avec le père, et Martin Blain, vicaire général du diocèse — doyen du chapitre, et aussi de la paroisse de Sainte-Croix.
Ex. AL. Evêque d'Orléans. M
Maret ; Blain, curé ; Crignon-Désormeaux »
C'était, pour ainsi dire de la Pucelle et de la ville d'Orléans que la fille de Gois avait reçu ses prénoms : Jeanne-Aurélie.
Cette filleule de Jeanne d'Arc et d'Orléans fit-elle honneur à son haut parrainage ? Nous l'avons cherché, mais en vain. Nous n'avons même pu savoir si elle vécut longtemps. Seulement, nous avons trouvé, dans une lettre, en date du 30 octobre 1807, du père au maire d'Orléans qui, au nom de la ville avait été le parrain, cette phrase qui prêterait à un mauvais augure « Votre petite filleule dans son vingt et unième jour de fièvre putride et malins (sic), ressentant en ce moment quelque mieux, me charge de se rappeler à votre souvenir (sic) ».
En tout cas, malgré un déplacement dont nous parlerons plus loin, l'œuvre de Gois devait durer plus longtemps que sa fille « Jeanne-Aurélie », et plus que lui-même puisqu'elle existe encore. On ajouta, plus tard, quatre bas-reliefs, style grec, peu compliqués, « bien dessinés et sagement modelés », par Laffitte, ami de Gois : ils représentent : Jeanne armée à Chinon par le roi ; Jeanne conduisant ses troupes à l'assaut des Tourelles ; Jeanne au sacre de Reims ; Jeanne brulée à Rouen.
On devait encore décorer le monument d'une inscription qu'on avait demandée aux savants et aux poètes. L'un d'eux, M. Dubos, professeur de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, en 1807, en composa deux, dans lesquelles il retrace brièvement et en vers français et latins, les services relatant de la Pucelle, son glorieux supplice, la vénération publique pour elle.
Gois, agréant l’œuvre scripturaire de Dubos, la transmettait au commencement de 1808, au maire d’Orléans, en la lui recommandant chaudement : « J’ai plus d’intérêt que personne d’obtenir cette grâce de vous, puisqu’en associant le faible de l’artiste au mérite réel de l’écrivain, ces inscriptions donnent, pour ainsi dire, la vie à mon ouvrage en lui assurant plus de relief aux yeux de la postérité ».
Néanmoins, la municipalité ne donna pas suite à ce qu’elle avait accepté quatre ans plus tôt : peut-être par raison d’économie. Ne fût-ce point, de la part du maire, plutôt une question de goût ?
Nos lecteurs apprécieront, puisque nous avons détaché du recueil qui les contient, pour les leur soumettre, les deux inscriptions omises :
Pour la Statue de Jeanne d’Arc à Orléans
Son bras soutint le trône et vengea son pays ;
Et de sa noble audace un bûcher fut le prix !
Pour rendre à sa mémoire un éclatant hommage,
Puisse dans Orléans, qu’illustra son courage,
Ce bronze, relevé par l’amour des Français,
Consacrer à jamais sa gloire et leurs regrets.
Pour la Statue de Jeanne d’Arc à Orléans
Ces vers, quoiqu’en ait pensé Gois, n’ajoutent rien à la valeur de l’œuvre et au mérite de l’artiste. Il n’y a donc pas à regretter, sur le marbre, leur non reproduction.
Malgré l’absence de la double épigraphe, la statue de Gois aura toujours, pour nous Orléanais, une valeur inappréciable, car, tant qu’elle durera, elle sera le témoin public du Rétablissement de la fête du 8 mai en 1803.
A ce titre, nous la saluons, souhaitant qu’il ne surgisse plus de vandales comme en 1562 et en 1793, qui la mutilent et la brisent.
Erection de la statue équestre de Jeanne d'Arc,
par Foyatier
La statue pédestre de Jeanne d'Arc par Gois, après avoir été à l’honneur, pendant un demi-siècle, sur le Martroi, devait subir une éclipse, pour être remplacée par une statue équestre, due à l'ébauchoir de Foyatier.
La première avait coopéré au rétablissement de la fête du 8 mai ; la seconde devait motiver plus d'éclat dans son cérémonial et plus de développement dans le cortège processionnel. L'inauguration de celle-ci, en 1855, faisant date dans les splendeurs de nos fêtes du 8 mai, l'historique du monument s'impose donc à notre plume.
L'amazone napoléonienne de Gois ne pouvait plaire longtemps : des Orléanais, les uns la trouvaient trop petite ; les autres, trop païenne. A ceux-ci, en effet, Jeanne n'était pas seulement un « chef de guerre », mais un chef de guerre inspiré. Tous se rencontraient pour souhaiter une autre statue, plus conforme à leur mentalité.
La fièvre militaire tombée avec la campagne de Russie, Waterloo et l'Invasion ; le sentiment religieux en hausse avec la restauration du culte, les missions et les panégyriques annuels, une nouvelle statue de Jeanne d'Arc, plus grandiose ou plus religieuse, devenait chaque 8 mai, la question du jour.
Ainsi, vers 1820, Alexandre Romagnési, le fils aîné d'un sculpteur, qui avait travaillé à l'ornementation de la façade de la cathédrale, proposa au Conseil municipal d'exécuter, soit en marbre, soit en bronze, une statue équestre de la Pucelle. Nos édiles, à qui le dessin avait été soumis, firent bon accueil à ce projet. L'exécution fut décidée. Le gouvernement promit même le marbre. Néanmoins, par suite de circonstances politiques, ce beau projet n'aboutit pas. Il est regrettable que l'esquisse de ce monument ait disparu. Au point de vue iconographique, on peut le regretter.
En 1824, nos catholiques, qui n'avaient pas perdu le souvenir du « monument de la Pucelle » de la rue Royale, se proposèrent de le renouveler avec l'érection d'une croix de mission. Comme en 1458, les dames et demoiselles d'Orléans promirent leur cotisation, si à cette croix monumentale, on ajoutait, en bronze, la statue de Notre-Dame de Pitié, celle du roi Charles VII et celle de la Pucelle. L'évêque d'Orléans, Mgr de Beauregard, approuvant ce projet avait même demandé le bronze au ministre de la guerre.
Rien ne se fit.
Sous la municipalité, issue des journées de juillet 1830, qui ne furent « glorieuses » ni pour les vainqueurs, ni pour les vaincus l'idée d'une nouvelle statue devait sommeiller : ce n'était point à regretter. Voltairiens d'idée, nos édiles, qui avaient laïcisé la procession du 8 mai, étaient incapables de comprendre comment il convenait de représenter la Pucelle, venue « de par le Roi du ciel pour délivrer Orléans. »
Ce type idéal, une princesse royale l'avait entrevu ; et il ne tint pas à elle qu'il ne fut réalisé sur la place du Martroi. Marie d’Orléans, digne fille de la pieuse reine Marle-Amélie, élève d'Ary Scheffer, avait la flamme d'un artiste et l'âme d'une vraie chrétienne. Mais le temps lui manqua pour exécuter l'œuvre magistrale, qu'elle avait conçue, car la mort sournoisement la guettait.
Au commencement de l'année 1838, une jeune femme, aux traits maladifs, s'arrêtait sur le Martroi, devant la statue de la Pucelle par Gois ; et, là, l'ayant contemplée, elle dit au comte Siméon, préfet du Loiret, qui, par honneur, l'accompagnait : « Ce n'est pas ainsi que je comprends ce sujet ; j'ai un modèle de statue représentant Jeanne d'Arc pendant le combat ; et quand je serai revenue de Pise — si je reviens — je ferai exécuter en grand mon sujet, et j'obtiendrai du roi qu'il en fasse cadeau à votre ville : il vous faut une statue équestre pour cette grande place. »
Le préfet remercia, avec une respectueuse effusion, Marie d'Orléans, fille du roi Louis-Philippe et princesse de Wurtemberg, de sa bonne et patriotique intention, souhaitant que la jeune malade retrouvât vigueur et forces sous le doux climat de l'Italie.
Elle revenait un an après et passait encore par Orléans, mais couchée dans un cercueil. Par une froide journée de février 1839, un corbillard richement empanaché et pompeusement escorté, traversait, en silence, la place du Martroi ; en le voyant passer, les Orléanais saluaient le corps, se disant : « Pauvre princesse, elle ne pourra tenir sa promesse ! « Et, tout en se signant, tous recommandaient son âme à Dieu miséricordieux.
Pour dédommager Orléans de la douloureuse déception que ses habitants éprouvaient de cette mort prématurée, le roi Louis-Philippe lui faisait don, en 1841, d’une copie en bronze de la statue en marbre de Jeanne d’Arc par sa fille, qui orne le musée de Versailles (c’est cette statue qui depuis 1851, se trouve dans la cour d’honneur de la mairie) ; et en 1851, la pieuse reine Marie-Amélie, alors en exil, lui offrait le moulage de la statue équestre, que sa fille avait destinée, en grand, à la place du Martroi.
Ce que n’avait pu réaliser une fille de roi, était réservé à un enfant du peuple, grâce à l’initiative d’une municipalité moins sectaire que celle de 1830.
Resté à l'état latent au sein de la municipalité, ce projet se fit jour, enfin, au moment où celle-ci allait commencer le percement d'une rue en avant de la façade de la cathédrale, qui devait justement s'appeler rue Jeanne d’Arc.
Le 1er février 1840, un conseiller municipal, le docteur Thion, demandait formellement, en séance, que « le gouvernement fut prié d'élever à Orléans, un monument digne de la reconnaissante nationale». Le 13 mai suivant, le Conseil, tout en partageant les sentiments de l'auteur de la proposition, déclara que le temps n'était pas encore venu d'y donner suite.
Cinq ans après, Denis Foyatier, dont le Spartacus, placé dans le jardin des Tuileries, avait popularisé le nom, fit savoir à l’administration municipale, qu'instruit des dispositions et des vœux d'une grande partie des membres du Conseil, il avait modelé une statue équestre, représentant la Pucelle au moment où, après la prise des Tourelles, elle rendait grâce à Dieu de la défaite des Anglais.
Dans le même temps, comme si un concours avait été ouvert, d'autres artistes de renom, comme Dantan ainé et Marochetti, avaient envoyé des esquisses, qui, artistiquement, répondaient à leur célébrité.
Mais le siège du maire, M. Lacave, était fait ; il se prononça en faveur de Foyatier, qui, comme homme et comme artiste, justifiais cette préférence. « Berger, comme Jeanne d'Arc, dans mon enfance avait-il écrit au maire d'Orléans, j'aimerais à élever un monument ; à la bergère de Domremy. De plus, il ne devait qu'à lui-même sa vocation innée, à la patience opiniâtre qu'il déploya dans la rude bataille de la vie, la place très recommandable qu'il occupait dans le monde des artistes »
Le 20 novembre 1845, le Conseil municipal, sur le rapport de sa Commission, à laquelle l'esquisse au trait avait été soumise, arrêtait que l'exécution de la statue équestre à Jeanne d'Arc serait contée à M. Peletier, et qu'une souscription nationale serait ouverte pour en couvrir les frais.
Pendant que Foyatier, à Paris, ébauchait la maquette de se statue, un sculpteur orléanais, amateur, s'essayait, dès 1846, sue le même sujet. C'était M. Octave Amy, colonel de la garde nationale. Au dire de Vergnaud-Romagnési, cet artiste du cru dans un immense bloc de plaire, une statue équestre de Jeanne d'Arc, qui, en 1852, fut exposée sur le quai de la Poterne, dans le voisinage même de la maison de l'auteur. Un peintre de mérite la décrivait ainsi. : Le cheval de bataille s'élance fougueux et plein d'audace, Jeanne d'Arc reste calme, le glaive au fourreau ; une inspiration divine illumine son noble visage dégagé de toute armure, et dirige, vers le ciel, son regard victorieux ; son bras est désarmé terminé par une flèche mortelle, le léopard est gisant sous ses pieds.
Assurément, l'artiste se rapprochait du type idéal, que l'histoire suggère. Malheureusement ce modèle fut, l'année suivante, brisé par accident. Foyatier se mit de suite à l'œuvre : au commencement de 1841, une commission parisienne, déléguée ad hoc, se rendait à son atelier; et, jugeant satisfaisante dans son ensemble la maquette terminée, elle demandait au ministre de la guerre, pour couler en brome la statue, neuf canons, dont ta moitié avait été prise sur les Anglais. Mais comme la quantité de métal obtenue était Insuffisante, la municipalité comptait pour le reste sur la souscription nationale.
Hélas ! Cette souscription, loin d'être nationale, n'avait même pas été municipale. Ni Orléans, ni la France ne donnèrent. Ce n'est pas, en effet, dans un pays en travail d'une nouvelle révolution que les bourses se délient.
L'insuccès de la souscription mettait dans un rude embarras la municipalité. Foyatier, ayant achevé son œuvre, le maire avait à faire face aux engagements qu'il avait pris vis-à-vis de l'artiste. Or la caisse municipale était vide : a-t-elle jamais été pleine ? Un jeune conseiller municipal, M. Loiseleur, pensant qu'un don intéressé serait plus agréé du public qu'un don gratuit, proposa de recourir à une loterie.
L'idée était bonne, puisque, la loterie, ayant réussi, permit à la municipalité, qui avait d’abord fixé pour 1853 l'inauguration de la statue, d'organiser cette solennité pour le 8 mai 1855.
La rue « Jeanne d'Arc » avait demandé 50 ans : la statue de Foyatier pouvait bien en demander 10... Et tout cela, faute d'argent. Beati possidentes !
Enfin, le 31 mars 1855, en présence du maire, M. Genteur, et de ses adjoints, la première pierre du piédestal en granit, dessiné par l'architecte Zumelin, était posée par les soins de Buors, entrepreneur breton.
Quelque temps après, la statue de Gois descendait de son piédestal de marbre, et la statue équestre de Foyatier montait sur le sien (22 avril); mais elle restait voilée jusqu'au 8 mai.
En ce jour eu lieu l'inauguration de cette statue, par un temps sombre et frais. Après une messe en musique de Camille de Vos, dirigée par le maitre de chapelle, Léon Pelletier, et exécutée par 200 chanteurs, Mgr Dupanloup prononçait un admirable panégyrique de la Pucelle : c'était la première fois qu'un évêque d'Orléans louangeait, du haute de la chaire de Sainte-Croix, celle pour qui il devait, en 1868, demander, en Cour de Rome, les honneurs de l'autel.
Puis la procession sortait : à son retour, le cortège étant massé autour du monument, le maire donna le signal d'enlever le voile, qui dérobait aux regards la superbe statue : tout à coup, le ciel, couvert et pluvieux depuis le matin, s'éclaircit, et un rayon de soleil, perçant la nue, vint illuminer le bronze, au milieu des acclamations enthousiastes de la foule. On peut croire, écrivait M. Loiseleur, qu'un spectateur céleste tirait le rideau qui lui voilait la terre, pour prendre part, lui aussi, à l'apothéose de celle qui avait combattu, en son nom, de par le Roi du ciel. Ce fut sous cette impression religieuse que Mgr Dupanloup, ayant à ses côtés la nouvelle bannière de Jeanne d'Arc, bénite la veille, et entouré de tout le clergé, procéda aux prières liturgiques de la bénédiction solennelle de la statue. Puis après le chant d’une cantate de Dufresne, la procession rentrait à la cathédrale, au chant du Te Deum. (Ce fut cette bannière, offerte par les Dames d’Orléans, qui fut réquisitionnée pour la procession maçonnique du 8 mai 1907).
Comme il convenait, l'artiste avait été invité à assister officiellement à l'inauguration de son œuvre, Foyatier répondit par sa présence à cette invitation. Mais comme il était ou timide ou modeste, — peut-être l'un et l'autre, — évitant la tribune d'honneur, il se tint à l'écart parmi la foule. Il voulait sans doute par cette présence effacée se dérober tant aux regards des curieux, qu'aux compliments banals de circonstance.
Louanges et critiques, comme on le pense bien, ne lui furent pas épargnées de la part des soi-disant connaisseurs, car le peuple, lui, était content; il trouvait que Jeanne d'Arc à cheval, sur le Martroi, faisait fort bonne figure. Parmi ceux-ci, l'un, dans un salon, déclarait que la statue n'était bonne qu'à être changée en « gros sous» Pour un savant archéologue, c'était... sévère, nous pouvons ajouter que c'était injuste.
A cette boutade d'un savant, trop épris de l'art grec, nous opposons l'appréciation d'un esthète Orléanais : « La Pucelle, après la victoire, abaisse son épée et remercie Dieu du succès. Cette statue a pour qualités principales la simplicité et le naturel. L'expression est vraie, la tenue digne ; le cheval, d'une proportion parfaite, se présente bien ; son allure est juste et animée. Le style du monument, froid, méthodique, bourgeois comme tout ce qui a pris naissance sous le règne de Louis-Philippe, a son originalité, sa date précise, et il appartient à une école qui possède des qualités. » Puis, passant aux bas-reliefs, qui ne sont plus de l'auteur de la statue, il ajoute : « Les bas-reliefs ne sont nullement en rapport avec l'importance et l'aspect sévère du monument. Les détails amusent le public, mais ne sauraient attirer l'attention d'un artiste. La patience a exécuté ces tableaux : l'art n'y est pour rien. Vital Dubray (il était déjà l’auteur de la statue de Pothier sur la place de la Cathédrale) a écrit là, en style d'aquafortiste, l'histoire de Jeanne d'Arc en dix (tableaux). »
Le monument comprend donc deux parties sculpturales bien distinctes : la statue et les bas-reliefs. Il convenait de le constater.
Le piédestal en beau granit de Bretagne porte, en effet, les inscriptions suivantes :
Sur la face orientale
A JEANNE D'ARC
LA VILLE D’ORLEANS
AVEC LE CONCOURS DE LA FRANCE ENTIERE
Messire m’a envoyée
Pour secourir la bonne ville
d’Orléans
Sur la face occidentale :
SOUS LE RÈGNE DE NAPOLÉON III
LE VIII MAI MDCCCLV
QUATRE CENT VINGT-SIXIEME ANNIVERSAIRE
DE LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS
CETTE STATUE
A ÉTE INAUGUREE
EN PRÉSENCE DE M. ARDATUCCI, MINISTRE, DE LA JUSTICE
ET BENITE PAR M. DUPANLOUP, EVEQUE D’ORLEANS
M. P. BOSELLI ÉTANT PRÉFET DU LOIRET
M. GENTEUR, MAIRE DE LA VILLE
LE VIII MAI MDCCCLXI
LES RELIEFS DU PIEDESTAL
ONT ÉTÉ INAUGURÉS
M. LE COMTE DE COETLOGON ÉTANT PRÉFET
M. E. VIGNAT, MAIRE
Foyatier avait composé les dix bas-reliefs. Le Conseil municipal les ayant refusés, Vital Dubray avait été chargé de les faire.
Malgré le procès intenté à la ville par ce premier, et qu’il perdit, son gendre, M. Blanchard de Puiseaux, a fait don, au Musée de Jeanne d’Arc, les dix bas-reliefs de son beau-père.
En terminant la genèse de nos statues de Jeanne d'Arc, érigées, l'une après l'autre, sur le Martroi, nous ne pouvons-nous empêcher de relever le caractère cultuel, que leur bénédiction, en 1804, par Mgr Bernier, et en 1818 par Mgr Dupanloup, leur a imprimé.
En 1907, on l'a trop oublié. Aussi, rien que la station officielle, au pied de chacune d'elles, des disciples de Voltaire et des condisciples de Thalamas, nous a semblé une profanation.
Encore une tache à effacer de noire histoire ! A cet acte réparatoire l'honneur de la cité est intéressé.
Inauguration de la statue équestre de Jeanne d'Arc
par Le Véel.
A-t-on remarqué que chacune de nos statues correspond aux phases du développement du culte national et religieux, voué à la mémoire de notre Libératrice ?
En 1804, avec le statue de Gois, les Orléanais saluent en la Pucelle le soldat; en 1811, en la statue de la princesse Marie, ils s'inclinent devant le soldat de Dieu; en 1855, en la statue de Foyatier, après avoir entendu leur grand évêque, ils commencent à révérer la servante de Dieu, qui, quarante ans plus tard, grâce à NN. SS. Dupanloup et Coullié, sera proclamée Vénérable.
Or, c'est au moment où s'entrevoit l'auréole de Bienheureuse, qui couronnera ce titre, que Mgr Touchet, dans la cour d'honneur de son évêché, où siégea, à maintes reprises, le tribunal apostolique chargé de la Cause, inaugurait la vivante et fière statue de Jeanne à cheval, par Le Véel, celle des statues qui idéalise le mieux notre. Libératrice.
Ce fut un beau jour que celui-ci, où, le 6 mai 1899, fut inaugurée cette statue, à quelques pas de l'ancienne muraille, qui, en 1429, reliait la « tour féodale de la faulconnerie» à la tour du « plaidoyer de l'évêque »
Au milieu de l'assistance privilégiée surgit sur un piédestal, de pierre, entouré d'un massif de fleurs blanches, la statue équestre de « Jehanne la Pucelle » ; revêtue de sa cuirasse et éperonnée, tête nue, cheveux bouclés, fermement assise sur sa selle, tenant de sa main gauche son épée abaissée en sa gaine et les rênes de son cheval, cabré et lancé avec un extraordinaire élan. Jeanne invite ses compagnons à la suivre, et semble les entraîner vers la Bastille de Saint-loup, qu'elle leur indique de sa main droite.
Monseigneur prend alors la parole, et dans une allocution, où chaque mot, en la phrase ciselée, vibre et porte, il loue en compatriote, l'artiste présent, et, en artiste, son œuvre.
Puis, s'adressant à un groupe d'assistants, Sa Grandeur s'écriait : « Messieurs du « souvenir français, » je vous remercie, votre place était ici.
« Lisez : sur le socle de la statue nous avons écrit le nom des tués du siège, que nous a gardé l'histoire trop avare : dix-neuf sur sept cents ! »
Sur le piédestal d'où la statue s'élance, on lit ces deux inscriptions :
A la mémoire
de
Jeanne d'Arc
et des
défenseurs d'Orléans
1428-1429
A. Le Véel, sculpteur
Cette œuvre, don de l'artiste
à été inaugurée le 7 mai 1899
par S.G. Mgr Touchet
Evêque d'Orléans
Restituit patriam Gallis Regique coronam,
Panva, Juvante Deo, durit ad arma viros.
A. Le Véel
Trépassés du siège
Gens d'armes Gens de la milice
Pierre de la Chapelle Le Gastelier
John Stuart Simon de Baugency
William Stuart Etienne Fauveau
Guillaume d'Albert Guillaume Yver
Jehan de Nailhac
Louis de Rochechouart Gens de la cité :
Jehan Chabot Femme Belles
Le Seigneur d'Ivray Alain du Bey
Antoine de Puilly Jehan Turquoys
Amaury de Machecoul Jehan Tonneau
Sur les 700 français qui succombèrent
L'histoire n'a conservé que ces noms.
Mais, en ce moment [1907], « La Vierge est prisonnière ! »
Oui, prisonnière, non plus des Anglais qui déplorent le crime de leurs pères, mais de faux Français, qui, n'ayant ni Dieu, ni patrie ni foi, ni loi, ont, sous l'euphémisme de la légalité, perpétré le vol!
Chaque année, de 1430 à 1830, le 9 mai, il y avait un service Requiem, célébré d'abord à Saint-Aignan, puis à Sainte-Croix pour les trépassés du siège. La fondation avait été périmée et la tradition rompue. Mais il ne saurait y avoir de prescription pour la dette de reconnaissance. Monseigneur l'a pensé, et à l'hommage aux défenseurs d'Orléans de 1429, qu'il consacrait en 1899 sur la pierre du monument, il joignait, eu 1903, la prière, en autorisant son chu, pitre à prier, le 9 mal, pour ces glorieux trépassés.
A la veille du XXe siècle, l’Évêque d'Orléans s'écriait, en inaugurant, chez lui, sa Jeanne d'Arc à cheval : « C'est la quatrième statue de Jeanne que nous avons à Orléans, A l'hôtel de ville, c'est Jeanne recueillie avant la bataille. Ici, c'est Jeanne partant pour la bataille. Au bout du pont, c'est Jeanne dans la bataille. Au Martroi, c'est Jeanne remerciant après la bataille. Une Jeanne d'Arc, en toute autre ville, c'est assez. A nous, il nous en faut quatre, tant nous sommes à Jeanne ! Tant Jeanne est à nous ! Tant le pacte qui nous lie est intangible. Nous ne l'avons jamais oubliée, nous... nous en aurions cinq statues, nous n'en trouverions pas encore assez !
Autres statues de Jeanne d'Arc dans Orléans
Le touriste, et même l'habitant, ne connaissent guère de nos statues de la Pucelle que celles qui sont sur la voie publique ; mais il en est d'autres qu'ils ne peuvent voir que d'après le dire, ou à la suite d'un guide, dérobées qu'elles sont dans des maisons particulières.
Généralement, elles ne sont pas monumentales. De plâtre plutôt que de métal, elles ne sauraient braver longtemps, au grand air, les intempéries du temps ; mais elles ont, la plupart, un intérêt historique et une valeur artistique, qui sollicitent et méritent, mieux qu'un coup d'œil, une visite.
Voilà pourquoi nous croyons devoir les signaler à l'attention par une description sommaire.
A SAINT-MARCEAU. — Le curé bâtisseur de Saint-Marceau a eu, dans son œuvre, une arrière-pensée, qui se trahit dans l'ornementation intérieure et extérieure de sa nouvelle église romane
Ainsi, au haut du clocher, à la place du coq traditionnel, se dresse la statue de Jeanne. L'œuvre de Victor Geoffroy, de Paris, qui est en cuivre martelé, défie les regards, bien qu'elle ait près de six mètres de hauteur.
Là, debout, tête nue, bardée de fer, une main appuyée sur le pommeau de son épée, tenant droit, de l'autre, son étendard, la Pucelle se profile comme une flèche aérienne, insaisissable, dans ses détails, à l'œil nu. Aussi, si remarquable soit-elle, cette statue n'est pas remarquée.
Il n'en est pas de même de la statue, qui se trouve, au cœur d'Orléans, dans une cour monastique.
AU COUVENT DE L'ANNONCIADE. —Ici, c'est sur un terrain sanctifié par le séjour de Jeanne d'Arc en l'hôtel de Jacques Boucher, que s'élève la statue, qui consacre ce souvenir. Dans la cour d'honneur, au faite d'un baldaquin, en fer forgé, qui couvre et orne un puits monumental, se dresse la statue pédestre de la Pucelle, en bronze et œuvre du sympathique directeur de notre Musée de peinture, M. Didier. Elle fut inaugurée solennellement, le 31 mai 1901, par Mgr Touchet, évêque d'Orléans. Jeanne se présente dans la pose d'une pieuse héroïne : une main sur son cœur, l'autre serrant contre la hampe les plis de son étendard ; l'œil allant chercher au ciel l'inspiration des moments décisifs.
AU MUSÉE DE JEANNE D'ARC. — En la « maison dite d'Agnès Sorel, — sans doute parce que cette royale favorite n'y a jamais mis les pieds, — la municipalité, si bien inspirée, a établi un Musée en l'honneur de la Pucelle d'Orléans, où elle a recueilli et recueille sans cesse tout ce qui, antique ou moderne, rappelle notre Libératrice.
En effet, dans cet élégant et artistique hôtel semi-quinzième siècle, semi-Renaissance, tout part de Jeanne d'Arc, tout revient à Jeanne d'Arc ; tout en parle ; tout la représente, ou la reflète. Là, à droite, à gauche, sur les murs ; au plafond ; sur le plancher ; dans les vitrines ; dans les corridors ; dans l'escalier en spirale; sur les portes, tout est à Jeanne d'Arc, tout est pour Jeanne d'Arc.
Mais, délaissant enluminures, peintures et gravures, tapisseries, émaux et porcelaines, nous n'avons à nous occuper que des statues, qui peuplent la cour, le rez-de-chaussée et les cénacles supérieurs.
Nous nous bornerons à une énumération de catalogue
1°) Dans la cour : Jeanne s'élançant, statue en fonte, par L. FOURNIER, de Bordeaux.
2°) Jeanne agenouillée... les bras manquent. Moulage d'une statue, mutilée, qui serait au-dessus de la porte de la maison de Jeanne d'Arc, Domremy; et faite d'après la statue de la Pucelle, qui était dans le monument, érigé, en 1458, sur le pont d'Orléans,
3°) Jeanne en costume féminin. Moulage du buste en pierre, Œuvre de Legendre-Heral, de Lyon, placé sur la fontaine de Domremy (1820).
4°) Jeanne à cheval, par la princesse Marie d’Orléans. Moulage donné, en 1851, par la reine Marie-Amélie, sa mère.
Un autre exemplaire, en bronze, orne maintenant le salon d'honneur de l'hôtel de ville d'Orléans.
5°) Jeanne écoutant ses voix, œuvre de Chapu (1872). Moulage fait sous la surveillance de l'artiste, dont le modèle, en marbre, est au Louvre.
6°) Jeanne debout armée, œuvre de Trouillard. Terre cuite.
7°) Jeanne armée et appuyée sur son étendard, œuvre de Poitevin (1876). Bronze.
8°) Jeanne blessée devant Jargeau, œuvre de LANSON, d'Orléans : Modèle en plâtre de la statue en bronze érigée à Jargeau. Bronze (don de la famille Rolland-Pouet, en mémoire d'un aïeul, centenaire, originaire de Donnery).
9°) Jeanne se vouant au salut du beau pays de France, œuvre de LECLAIRE. Modèle en plâtre.
10°) Deux bustes, en marbre blanc, de Jeanne d'Arc, par Lattoux, de Bordeaux :
Jeanne bergère écoulant ses voix,
Jeanne laurée.
11°) Jeanne armée, avec une couronne d'épines et de laurier, par A. Mercié, de l'Institut. Bronze.
12°) Jeanne Pacificatrice, par Champigneulle. Don de l'artiste, (1893). Bronze.
13°) Jeanne remerciant après la bataille, par A. Manuela. Plâtre.
14°) Jeanne Libératrice, par Falguières, de Toulouse, prix de Rome en 1854. Maquette originale inédite.
15°) Jeanne partant pour bouter l'Anglois petit bronze ; Jeanne ayant bouté l'Anglais, plâtre. Œuvre et don de la duchesse d'Uzès.
16°) Jeanne la Bergerette, terre cuite, par J. Le Galuche.
17°) Jeanne armée, laurée, agenouillée, terre cuite, par Frémiet.
18°) Jeanne casquée à la Romaine, buste moderne en marbre, de l'Ecole italienne.
19°) Jeanne à cheval, moulage d'un modèle en bronze (XVe siècle), du Musée de Cluny (collection Carraud).
20°) Jeanne guerrière, par Gois fils ; c'est le modèle en plâtre qui, en 1803, fut érigé sur la place du Martroi.
Il existe encore, dans les vitrines, des bataillons de statuettes de Jeanne, de toutes matières, de tous calibres, rassemblées par un amour exagéré, pour sa mémoire. Ici, le goût n'a rien à voir : ce n'est plus de l'art, c'est du bibelot d'amateur, c'est du camelot, digne d'un bazar. Il y aurait lieu, sur ce point, à un intelligent échenillage. Caveant custodes !
Quant aux statues, qui sont signées, il faut bien l'avouer, aucune ne nous donne le portrait « au vray » de notre Libératrice
Aussi, souscrivons-nous à la judicieuse appréciation qu'un des conservateurs adjoints du Musée de Jeanne d'Arc en faisait publiquement.
« Aucune de ces belles couvres ne nous satisfait absolument, parce qu'aucune ne nous rend complètement notre Jeanne, tant est grande notre soif d'idéal. Bien longtemps encore les plus grands artistes s'acharneront, à l'envi, à réaliser notre haute conception de l'héroïque jeune fille, en qui nous incarnons l'âme de la France. Le futur artiste, qui voudra créer ce type idéal, devra tenir de Fra Angelico et de Raphaël, s'il est peintre ; et, s'il est sculpteur, d'un imagier du moyen âge et de Michel-Ange, car non seulement la Pucelle d'Orléans est « l'âme de la France », mais bientôt, avec l'auréole, elle sera « l'ange de la Patrie ».
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