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La saga des Vinaigriers orléanais !


Au cours de la fête de la corporation en 1888, M. l'abbé Bougaud (vicaire général) s'adresse aux Maîtres Vinaigriers dans un discours. Après avoir dressé l'histoire des corporations et confréries de métiers en général, dans sa quatrième partie, il retrace l'histoire passionnante de celle des Maîtres Vinaigriers depuis 1580. Nous redonnons ici cet extrait :


" [...] Je viens de crayonner devant vous, Messieurs, la physionomie des anciennes corporations. Mais je vous ai promis d'examiner votre passé, de raconter vos origines et votre histoire… J’ai hâte d’y arriver.


Voilà trois siècles que vous existez ; vous avez traversé tous les orages de la vie nationale. Vous méritez bien qu’on s’arrête un instant à vous regarder à vous admirer.


Vos origines d’abord ? Il n’est pas de manuel de géographie ni de guide voyage, où invariablement le nom d’Orléans ne soit suivi de cette phrase pour ainsi dire stéréotypée : « ville renommée par son vinaigre». A quelle époque remonte cette piquante réputation ? Jusqu’à quel point est-elle méritée ? Les annalistes parlent avec éloges des vins d’Orléans, est ils vont même jusqu’à les chanter comme les meilleurs crus de France. Or du vin au vinaigre, il n’y a pas loin. C’est le vers les milieu du 15e siècle qu’il faut faire remonter la fabrication du vinaigre d’Orléans. Modeste et localisée dans ses débuts, cette industrie fit d'abord peu parler d'elle. Néanmoins, vers le milieu du XVIe siècle, le commerce l'avait fait assez connaître et apprécier hors de la province pour faire craindre à nos fabricants qu'on ne leur fit une concurrence déloyale. Aussi, suivant l'esprit de cette époque en matière commerciale et industrielle, ils résolurent de se constituer en jurande, et ils adressèrent à cet effet une requête au roi Henri III. Ce prince, en 1580, y acquiesçait, et approuvait par lettres patentes les Statuts de la communauté des Maitres vinaigriers d' Orléans. Ce règlement, dans sa substance, ramène à deux points principaux :


  1. il établissait un privilège en créant un monopole de fabrication et de vente en faveur de nos vinaigriers

  2. il réglementait de fabrication et il sauvegardait ainsi la probité professionnelle.

Voilà vos origines, Messieurs. La maitrise jurée de votre corporation plonge ces racines dans un passé trois fois séculaire. De 1580, date de cette création royale à 1776, époque néfaste dans l'histoire des corporations, vous alimentez de vos produits tant le royaume que l'étranger. Toute la France est inondée du vinaigre d'Orléans.


La communauté des vinaigriers est une véritable association qui s’administre elle-même et qui est très puissante. Elle a à sa tête un syndic, un adjoint et quatre maîtres jurés, qui exercent une autorité réelle. Ils arrêtent au passage les vinaigres étrangers, et ils en empêchent le versement et le débit pendant toute la durée de l’entrepôt. Ils surveillent la fabrication. Ils sont tenus de faire, chaque année, quatre visites générales, et plus, s’ils le jugent à propos. S’ils rencontrent des marchandises avariées ou des ustensiles défectueux, ils en dressent procès-verbal et défèrent les délinquants aux juges de polices, et ils sont eux-mêmes autorisés à saisir les objets ou à les faire briser. Au-dessous du syndic et des jurés se placent les maîtres vinaigriers, et dans ce temps, n’était pas maître qui voulait. Il fallait généralement deux ans d’apprentissage et faire un chef d’œuvre pour acquérir devant notaire le brevet de maître, qui n’était valable qu’après avoir été enregistré sur le livre de la communauté. Cependant le nombre des maîtres était illimité. Il était de trois cents vers le fin du 18e siècle. A l’abri de toute concurrence, fière de sa renommée et forte de sa richesses, la Corporation des vinaigriers en vin bientôt à briguer les honneurs de la bourgeoisie en se donnant un blason (voir description du blason plus bas NDLR)


Or il y avait déjà deux cent ans que vous jouissiez de vos privilèges et de vos honneurs, lorsqu’en avril 1777, sur la proposition de Turgot son ministre, Louis XVI rendit un édit, qui abolissait les corporations. Froissés dans leur dignité et lésés dans leurs intérêts, nos maîtres vinaigriers firent porter jusqu’au pied du trône leurs respectueuses et légitimes doléances. Louis XVI, ému de leur plaintes, rétablit la Communauté des marchands vinaigriers ; et en 1781, vous repreniez votre place au soleil… mais pour dix ans seulement.


En 1791, l’Assemblée Constituante détruisait définitivement l’ancienne organisation du commerce et de l’industrie.


Avec les temps modernes, un nouveau régime commence, le régime de la liberté commerciale et industrielle. Est-ce fait des vinaigres d’Orléans ? Non. Nos vinaigriers survient au décès de leur corporation et en continuent scrupuleusement les traditions jusqu’à nos jours. En 1792, Orléans possédait 27 raffineries ; la Révolution leur a porté un coup mortel, et l’industrie sucrière à végété. Ils ont survécu à la tempête. Nous avons perdu notre sucre, mais nous avons sauvé nos vinaigres.


Aujourd’hui, comme en 1792, comme en 1580, nos maîtres vinaigriers tiennent dans la cité une place respectée. Votre corporation avait autrefois sa confrérie (le siège était dans une des chapelles de l’église des Jacobins). Vos ancêtres l’ont fait revivre au commencement de ce siècle, en 1806 et depuis Messieurs, chaque année vous êtes fidèles à votre fête patronale : de 1806 à 1835 à Saint Donatien, de 1835 à 1839 à Saint Pierre du Martroi ; de 1839 à nos jours, à Saint Paterne.


Chaque année, vous vous groupez dans cette église (Saint Paterne NDLR) ; et vous venez abriter sous l’aile de la Religion, vos entreprises, vos labeurs et vos familles. Vous continuez un passé glorieux, et vous montrez par là que vous avez l’intelligence de nos vieilles traditions avec le sentiment des besoins du présent. [...]"

 

Un clerc participant à la fête de la confrérie raconte cette journée festive.

in Annales Littéraires et Religieuses du Diocèse d’Orléans - 1888


En 1791, l’Assemblée Constituante, en inscrivant dans sa Constitution cette simple phrase : « Il n’y a plus de jurandes, ni de corporations de professions, arts et métiers » avait mis fin à la communauté des maîtres vinaigriers, buffetiers et moutardiers de la ville et faubourgs d’Orléans.


Ce décret brisa une vieille institution, mais il ne put du même coup anéantir l’esprit de corps que les siècles avaient cimenté parmi ses membres. Aussi, après la tourmente révolutionnaire, les survivants ou les descendants de 63 maîtres-vinaigriers de 1791 éprouvèrent-ils le besoin de renouer entre eux les liens qui autrefois les avaient unis et réunis. Mais, ne pouvant plus légalement réorganiser la corporation, ils résolurent de ressusciter la confrérie. En conséquence, sur l’initiative de deux d’entre eux : MM Grégoire Boileau et Laurent Le Roi, les fabricants et débitants de vinaigre d’Orléans et de la banlieue relevaient, en 1806, leur antique confrérie.


Tout d’abord, en la reconstituant, ils faisaient revivre les anciens noms des dignitaires de la confrérie, jusqu’à celui de clerc par lequel était désigné celui qui servait le corps de métier. Ils commencèrent par élire pour proviseurs les deux instigateurs de cette restauration : ce ne fut toutefois qu’en 1808 qu’ils relevèrent la dignité de ce syndic, qui est la première charge de l’association. Elle fut attribuée à M. Laurent Le Roi. Ainsi que leurs anciens, il maintenait la Sainte Vierge comme patronne, et l’Assomption comme fête patronale de la confrérie mais l’usage est que cette fête ait lieu, non le 15 août, mais le lundi qui suit cette date. Ainsi le voulait la tradition. Ce choix de la Vierge comme patronne des vinaigriers, à première vue, paraît étrange. Néanmoins, quand on se rappelle que la plupart des confréries de corporations prirent naissance en plein moyen-âge, la raison mystique, qu’on en donne pour le motiver, surprend moins.


Se rappelant qu’au Calvaire les bourreaux de Notre Seigneur avaient trouvé dans l’emploi du vinaigre un moyen de prolonger la passion du Fils et le martyre de la Mère, les pieux ouvriers en vinaigre du 12e siècle crurent qu’ils dégageraient leur responsabilité dans ce mystère douloureux, en choisissant la très Saint Vierge pour la patronne de leur corporation, et en l’honorant dans un de ses mystères joyeux. Aussi, tandis que la plupart des vinaigriers français prenaient la Nativité de la Vierge (8 septembre) pour leur fête patronale, ceux de la ville d’Orléans faisaient choix de l’Assomption. Depuis lors, nos vinaigriers placèrent sur la bannière de la confrérie, d’un côté l’image de la Sainte Vierge montant au ciel, et de l’autre côté leurs armes, qui étaient : d’azur, à un baril d’or, accosté de deux assiettes ou tasses d’argent, avec un entonnoir de même en pointe.


Malheureusement les restaurateurs de la confrérie sans la corporation ne purent la réinstaller dans la chapelle des Jacobins, qui, à l’origine, à cause de la proximité de l’Etape aux vins, avait été pendant 600 ans le siège de la première confrérie : elle était sécularisée. Force-leur fut de chercher un autre sanctuaire, et Saint Donatien s’ouvrit le premier, en 1806, pour offrir l’hospitalité aux membres de la nouvelle confrérie.


Par suite de circonstances qui nous échappent, nous retrouvons en 1835, la confrérie siégeant à Saint-Pierre-du-Martroi. Ce ne fut là qu’une installation provisoire, car, en 1839, elle s’intronisait dans l’église de Saint Paterne, où elle est restée jusqu’à nos jours (1884 NDLR)


Depuis cette époque, avec une fidélité que n’ont pas suivie plusieurs confréries de métiers, qui s’étaient reconstituées au commencement du siècle, les vinaigriers d’Orléans n’ont pas cessé d’y venir, au jour fixé, célébrer leur fête patronale avec toute la solennité d’autrefois.


Cette année, elle a eu un éclat inaccoutumé : c’était pour la première fois qu’elle se célébrait dans le nouveau Saint Paterne. M. le Curé par une délicate attention qui n’a pas échappé aux 300 confrères, avait tenu à leur souhaiter la bienvenue dans sa nouvelle église en ornant l’autel comme aux jours de grande solennité, et en assistant à tous les offices de la journée.


Après la grand’messe, chantée par M. l’abbé Gibier, vicaire de la paroisse, les confrères se sont réunis dans le salon du presbytère, et là, sous la présidence de leur syndic, M. Séjourné, père, et du proviseur en exercice, M. Courtin-Rossignol, ils ont procédé à l’élection d’un proviseur adjoint.

Après les vêpres qui eurent pour officiant un R.P. Bénédictin, frère d’un des membres de la confrérie, M. l’abbé Gallard, vicaire de Saint-Pierre-le-Puellier, a prononcé une allocution qui a été écoutée avec un recueillement parfait et une satisfaction visible. Puis a eu lieu le salut solennel dont M. le Curé a bien voulu être l’officiant. A la procession du Très Saint Sacrement, les cordons du dais étaient portés par quatre confrères. Tous les autres membres suivaient avec un magnifique bouquet à la main.


Ainsi s’est terminée, à l’église, cette fête d’une corporation célèbre, dont les produits figurent au premier rang de notre industrie locale.


Un clerc.

 

In Le Point du 16 novembre 2001, un article de Laurent Jacquelet


Martin Pouret : le dernier maître vinaigrier


En ce début de IIIe millénaire, la fabrication du vinaigre de vin à l'ancienne pourrait relever du passé d'Orléans. Mais une famille n'a pas dit son dernier mot. « Nous sommes les derniers en France à mettre en oeuvre ce procédé traditionnel et naturel », explique Jean-François Martin, PDG de l'entreprise familiale Martin Pouret. Installée depuis trois siècles dans les faubourgs de la cité johannique, cette PME de 15 salariés produit 3,5 millions de bouteilles par an. Avec 3 à 4 % de part de marché, le dernier maître vinaigrier d'Orléans se positionne en troisième place, derrière les deux marques du géant Unilever, Amora et Maille. Soigneuse sélection des vins, lente transformation et bonification en caves : Martin Pouret laisse le temps faire son oeuvre. Un pari sur la qualité désormais soutenu par le Club des « toqués » du vinaigre d'Orléans, qui rassemble les plus grands noms de la cuisine française



 

Pour aller plus loin :

« Fabrication du vinaigre d'Orléans », Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain,‎ 1836, p. 156-159 lire en ligne

Déclaration royale, Nouveaux statuts et règlemens pour la Communauté des Marchands Vinaigriers de la ville, fauxbourgs et banlieue d'Orléans, Orléans, Imprimerie Jacques-Philippe Jacob, 1781, 40 p. lire en ligne

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